Cet article fait partie de la série Les articles de l’Arctique, une collaboration entre l’Aquilon (Territoires du Nord-Ouest), l’Aurore boréale (Yukon) et le Nunavoix (Nunavut).
L’étude en question porte sur la perte de glace de mer et ses conséquences sur les ours polaires qui chassent sur la surface de la glace. On découvre, par exemple, que, pour égaler l’apport énergétique de la consommation d’un phoque, un ours doit consommer l’équivalent de 37 ombles chevaliers ou 1,5 caribou.
Ce papier, qui est un article de synthèse, a pour but de «résumer toutes les nouvelles données publiées au cours de la dernière décennie», selon Anthony M. Pagano, l’un des auteurs. L’ours blanc serait, selon lui, une véritable espèce sentinelle du changement climatique.
Le savoir traditionnel inuit
Parmi la communauté de chasseurs d’ours blancs d’Iqaluit, les observations et le savoir traditionnel ne relèvent cependant pas de situation critique pour ces plantigrades.
Aasivak Arnaquq-Baril est originaire d’Iqaluit et souhaite devenir chasseur d’ours blancs. Selon lui, les perceptions des chasseurs de sa communauté ne font pas état d’une vulnérabilité des ours blancs.
Le savoir traditionnel inuit est aussi mis de l’avant selon Lutie Kaviok, jeune chasseur d’ours polaires résidant aussi à Iqaluit : «Je ne pense pas qu’ils soient en danger parce que nous chassons rarement les ours polaires et nous les chassons lorsque nous recevons un permis pour la chasse, ces permis sont délivrés chaque année. Nous, les Inuits, savons quand chasser et quand ne pas chasser. Ce serait formidable si notre culture touchait davantage les gens et qu’ils apprenaient réellement pourquoi nous chassons, et pourquoi nous vivons de cette façon», précise-t-il lors d’un échange de courriels.
Une situation différente selon les régions arctiques
Pour le Conseil de gestion de la faune du Nunavut, les conséquences du réchauffement climatique sur la fonte de la banquise devraient être davantage étudiées. Selon ce comité, les effets au long terme sur les ours blancs ne sont pas encore identifiés.
«Les changements de l’écosystème (par exemple, l’état de la glace de mer) doivent être surveillés, car il y a eu des évolutions importantes dues aux changements climatiques. À mesure que les conditions de la glace pluriannuelle se transforment en glace annuelle, les effets à long terme sur les ours et leurs proies ne sont pas encore connus», peut-on lire dans un document publié en début d’année et concernant les recommandations de récolte totale autorisée pour la sous-population d’ours polaires du chenal M’Clintock, dans l’archipel Arctique.
Le gouvernement du Nunavut ne considère pas la situation de ces mammifères comme préoccupante. Néanmoins, une surveillance est essentielle «pour assurer une gestion réactive, en particulier à la lumière du changement climatique» indique dans un courriel Casey Lessard, gestionnaire des communications au sein du ministère de l’Environnement.
Pour le groupe de conservation de la flore et de la faune arctique (CAFF) du Conseil de l’Arctique, le réchauffement climatique est la menace la plus grave pour la biodiversité de l’Arctique.
«Les tendances actuelles indiquent que les espèces dépendent de la glace de mer pour la reproduction, le repos ou la recherche de nourriture, indique Courtney Price, responsable des communications de l’organisme [ces espèces] subiront une réduction de leur aire de répartition, car le retrait de la glace de mer se produit plus tôt et la saison des eaux libres se prolonge.»
Les preuves du déclin de certaines populations d’ours blancs sont avérées selon Gregory Thiemann, professeur agrégé à l’université York de Toronto et membre du groupe des spécialistes de l’ours polaire appelé IUCN et partenaire du CAFF.
Cependant, la situation n’est pas uniforme. Alors que certaines populations voient leur nombre décliner, comme dans la partie nord de la mer de Beaufort, d’autres voient leur nombre se stabiliser ou augmenter, comme dans le bassin de Kane, entre le Groenland et le Canada.
Un problème complexe
Pourtant, certaines voix s’élèvent contre ce type de conclusion. Parmi celles-ci, celle de la zoologue basée à Victoria, Susan Crockford, qui estime que les études des 20 dernières années indiquent que «les ours polaires ne sont pas particulièrement sensibles aux changements de la banquise et ne sont pas des sentinelles du changement climatique.»
Susan Crockford, qui n’est pas spécialiste des ours polaires et ne se rend pas sur le terrain, a fait un travail de compilation de l’ensemble des études publiées sur le sujet pour en arriver à cette conclusion.
Personnalité controversée dont les idées embrassent la mouvance climatosceptique, elle pense que l’ours blanc a été érigé en symbole de la lutte contre le réchauffement climatique par les activistes et une partie de la communauté scientifique.
La problématique de la vulnérabilité des ours polaires est cependant bien plus subtile et compliquée que le laisse présumer Mme Crockford. En effet, M. Thiemann estime que cette approche constitue une simplification du discours qui n’a pas lieu d’être.
Il poursuit : «Nous savons donc que le déclin de l’abondance du nombre d’ours polaires va se produire dans le futur à moins qu’une action spécifique [pour freiner les changements climatiques] ne soit prise. L’urgence est grande et la baisse du nombre d’ours est presque inévitable, mais il y a des raisons d’être optimiste et nous avons encore un certain contrôle sur le système climatique en tant qu’humains.»