Ce n’est pas tous les jours que les élèves d’immersion de la Stephenville High School ont l’occasion de faire de l’improvisation en français sur des rythmes de rap. Et encore moins d’avoir un artiste-rapeur comme professeur de français! Depuis son studio au Québec, Eman a initié la classe de 12e année de Nancy House à l’écriture hip-hop le 23 mars dernier, le temps d’un atelier de 90 minutes.
«J’ai participé à neuf ou dix ateliers [virtuels] à travers le Canada, des classes de Colombie-Britannique, d’Alberta et de Terre-Neuve. Travailler avec des jeunes, c’est quelque chose que j’avais déjà fait par le passé avec l’Alaclair ensemble [son groupe] en collaboration avec [le festival] Festif! de la Baie-Saint-Paul. C’est vraiment cool. Le rap, c’est vraiment un truc d’impro», raconte le rapeur québécois.
C’est à partir des mots lancés sur le vif par les élèves que l’écriture et l’improvisation musicale se sont faites.
Pour écrire, on faisait un brainstorming en partant des mots qui les font rire ou qui ont des sonorités particulières. On a ensuite construit des phrases qui riment, fait des liens entre elles pour créer des punchlines […]
«Il ne faut pas forcément que chaque phrase ait un sens, mais plutôt qu’une image se dégage à chaque ligne», explique Eman, avant de préciser qu’il s’est adapté en fonction de chaque classe et de leur niveau de langue en français.
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La culture de la rue
L’écriture hip-hop ou le freestyle, Eman le connait très bien. L’artiste, qui s’est fait notamment connaitre avec le duo Accrophone, formé avec Claude Bégin en 1993, puis avec le groupe Alaclair Ensemble, rape depuis qu’il a 13 ou 14 ans.
Je suis un père de famille rapeur. J’ai commencé à écouter des cassettes de rap en anglais à 6 ou 7 ans. Je pensais que le rap, ça n’existait pas en français.
Il poursuit: «C’est une personne arrivée de Montpellier, qui m’a demandé si on rapait. J’ai dit : “Non, je ne parle pas anglais!”. Il m’a fait découvrir IAM, Fonky Family, des rapeurs français, c’était fou!», se souvient-il.
Inspiré par ces derniers, il n’est alors pas rare à l’époque — la fin des années 90 — que certains artistes québécois rapent avec un accent français. «C’est ridicule! […] On en rit encore avec KNLO [membre du groupe Alaclair Ensemble]. Sur un de ces premiers projets, il devait avoir 14 ans et faisait déjà des spectacles, il rapait avec l’accent marseillais!» raconte Eman.
Depuis, le rap québécois a beaucoup évolué, mais l’artiste tient à rappeler aux jeunes des ateliers que ce genre musical est issu de la culture de la rue.
«Il n’y avait pas Internet, à la base, c’était des compétitions entre jeunes de différents quartiers, précise-t-il. Le but était de représenter au mieux son quartier, d’où tu viens. Il y avait un aspect identitaire et un contexte socioculturel associé. Les compétitions se faisaient parfois pendant des fêtes, et la dimension de performance était forte».
Expérience hip-hop réussie
Le côté performance associée au rap a d’ailleurs plu à certains jeunes de ces ateliers qui se sont rapidement pris au jeu. «J’ai eu de la chance : lors de certains ateliers, il y en a qui embarquaient et n’étaient pas du tout gênés de raper leur phrase sur les rythmes que je leur mettais. Sinon, ils m’écrivaient leur phrase et c’est moi qui rapais la chanson.»
Je voulais leur montrer que le freestyle, c’est décomplexé, il ne faut pas se casser la tête avec les mots pour écrire, c’est libérateur! Et l’art, c’est ça!
Se lancer, ne pas avoir peur de faire des erreurs, sortir de l’idée qu’il faut atteindre la perfection pour qu’une composition soit bonne sont autant de valeurs que l’artiste a cherché à transmettre à ces jeunes en pleine période d’apprentissage et de développement identitaire.
Bien que la rencontre ait eu lieu par écrans interposés — les élèves travaillent en ce moment depuis chez eux en virtuel — cette expérience avec une artiste francophone leur a plu.
«C’est sûr qu’ils étaient un peu gênés de parler en français avec un francophone. […] Après l’atelier, ils m’ont dit qu’ils avaient beaucoup aimé la rencontre, il y a eu de belles discussions avec Eman. Ils l’ont trouvé gentil, ouvert et intéressant», selon leur professeure Nancy House, originaire de l’Île-du-Prince-Édouard.
Celle-ci ajoute : «Je suis très satisfaite. Si jamais il y a un autre atelier, je recommencerai sans hésiter! […] Les élèves n’ont pas beaucoup d’occasions ici pour s’exprimer avec des francophones, alors c’est vraiment valorisant et encourageant pour eux de réaliser qu’ils peuvent comprendre un francophone comme Eman.»