«Sudbury, c’est une ville qui t’habite. Juste quand tu te promènes tu entends les trains… il y a la roche noire… C’est peut-être un stéréotype, mais c’est vrai, c’est vraiment vrai!» s’exclame Sylvie Harrison.
Cette native du Grand Sudbury, qui était établie à Ottawa depuis quelques années, s’est permis un retour vers la capitale du Nickel grâce au télétravail imposé par la pandémie.
«Une des raisons pour lesquelles je voulais revenir à la maison, c’est parce que c’est Sudbury! Je n’ai rien contre Ottawa, mais quand les gens me demandaient “comment tu trouves ça, Ottawa?”, et bien ma réponse était toujours : “Ce n’est pas Sudbury”. Je suis vraiment une très grande admiratrice et ambassadrice de ma ville», explique-t-elle.
Il s’agit en fait d’un deuxième retour au bercail pour Sylvie Harrison. Après quelques années comme enseignante d’anglais à Québec, au début des années 2000, elle est retournée dans sa ville natale pendant sept ans pour travailler dans le milieu des médias et de la culture.
En 2013, après un stage au Ghana avec Radios rurales internationales, un organisme de coopération basé à Ottawa, elle s’installe dans la capitale fédérale pour devenir gestionnaire des métiers radiophoniques pour l’organisme.
Son travail l’amène à coordonner le travail de plusieurs équipes disséminées un peu partout en Afrique. Sylvie Harrison s’y rendra d’ailleurs à plusieurs reprises : son passeport porte les tampons du Ghana, du Burkina Faso, du Niger, du Sénégal, de la Tanzanie, de l’Ouganda, de l’Éthiopie et du Kenya.
Certains collaborateurs de l’équipe du siège social travaillaient déjà hors d’Ottawa — en Angleterre et en Colombie-Britannique, notamment —, donc la direction était disposée à envisager cette proposition. Sylvie Harrison a obtenu le feu vert en aout 2020 et ce fut le retour à Sudbury!
Une tendance plutôt anecdotique
Pour Frédérick Dion, qui était au moment de l’entrevue le directeur général de l’Association des municipalités francophones du Nouveau-Brunswick (AMFNB), il s’avère difficile d’évaluer s’il y a véritablement un retour au bercail des télétravailleurs des grandes villes – les municipalités ne disposent simplement pas de données à ce sujet.
«J’ai des échos du terrain que, par exemple, la vente de maison se fait très bien […] Dans le sens que, “ah, un tel a vendu sa maison? Ah oui! C’est un couple de l’Ontario qui revient vivre au Nouveau-Brunswick”. J’ai entendu quelques histoires comme celle-là, mais je n’ai aucune donnée», affirme Frédérick Dion, qui a quitté l’AMFNB le 10 mai dernier.
Dans le Nord de l’Ontario, le maire de Hearst et président de l’Association française des municipalités de l’Ontario (AFMO), Roger Sigouin, remarque aussi que l’information véhiculée à ce sujet demeure anecdotique.
«Nous, on vient d’embaucher un individu d’Ottawa qui vient originellement de Hearst. Je crois que ça fait environ une quinzaine d’années qu’il est parti à Ottawa avec sa conjointe [qui va pouvoir télétravailler à partir de Hearst]», offre Roger Sigouin à titre d’exemple.
De son côté, Justin Johnson, chef de la direction de l’Association des municipalités bilingues du Manitoba (AMBM), souligne qu’il y a une augmentation des transactions immobilières dans des municipalités plus «touristiques», comme le long de la rivière Winnipeg et du lac Winnipeg. Il note aussi une certaine migration du centre urbain de Winnipeg vers des régions un peu plus éloignées.
Cette tendance pourrait être une aubaine pour les régions, qui peinent parfois à retenir ou attirer les jeunes travailleurs.
Malgré l’absence de données soulignée par Frédérick Dion, les milieux économiques du Nouveau-Brunswick ont récemment lancé la campagne «Vivez dans le moment Nouveau-Brunswick» pour faire la promotion de la province dans les régions de Toronto, Ottawa et Montréal.
«On présume que certaines habitudes de travail, comme le télétravail, vont demeurer. Donc c’est tout à fait possible d’aller vivre dans une autre région, dans un milieu de vie peut-être plus relax, plus calme, plus rural! Et là, ça devient attrayant pour nos régions d’essayer d’attirer des gens qui sont à la recherche de ces choses-là», explique le directeur de l’AMFNB, dont l’organisme n’est pas relié à la campagne.
Un outil de développement potentiel
Pour Frédérick Dion, le télétravail est donc un «axe stratégique dans le développement de nos régions [qui] font face à des défis démographiques importants».
Justin Johnson identifie pour sa part qu’au Manitoba, «le défi éternel de l’AMBM, c’est de contrer l’exode du rural à l’urbain. Et ça demeure toujours un enjeu clé».
Pour attirer les télétravailleurs en région, il estime essentiel que les municipalités investissent dans leurs économies, leurs infrastructures et leurs services : «Il est question de développer des infrastructures numériques, touristiques, durables qui incluent des centres créatifs, des égouts… Souvent les gens sous-estiment ces infrastructures de base, comme les égouts, les eaux, etc. […] mais sans ces services-là, personne ne va venir chez nous», constate Justin Johnson.
Les écoles francophones, ajoute-t-il, sont aussi un attrait essentiel pour de futurs résidents, des «ancrages de vitalité».
Frédérick Dion propose que le retour des télétravailleurs en région soit soutenu par les gouvernements fédéral et provinciaux, qui pourraient mettre en place des politiques de décentralisation pour permettre aux fonctionnaires de travailler à distance.
Le maire de Hearst, Roger Sigouin, abonde dans le même sens et soutient que de telles politiques «vont permettre aux gens de revenir dans leur nid, et je pense que ça va être bon pour tout le monde».
Il identifie aussi que les jeunes familles qui reviennent s’établir en région cherchent à combler «un manque côté nature», mais sont tout de même habituées aux infrastructures de sport et de loisir que peuvent offrir de grandes villes comme Ottawa.
Pour des villes comme Hearst et Kapuskasing, dans le Nord de l’Ontario, Roger Sigouin estime que le développement économique passera notamment par des investissements dans ce type d’infrastructures.
Le retour mouvementé de Sylvie Harrison
Si déménager n’est déjà pas de tout repos en temps normal, la logistique a été d’autant plus compliquée pour Sylvie Harrison en raison de la pandémie :
S’acclimater à la ville dans ce nouveau contexte n’a pas non plus été chose aisée. À son retour en sol sudburois, Sylvie espérait pouvoir de nouveau s’inscrire dans la scène culturelle francophone de la ville : «À Sudbury, la communauté franco-ontarienne, la communauté artistique, j’en faisais beaucoup partie, j’avais l’impression de faire bouger les choses. À Ottawa, ça a été beaucoup plus difficile de m’intégrer dans ces milieux-là […] J’avais l’impression que c’était plus institutionnel. On brasse un petit peu plus fort, à Sudbury!»
Mais en février, c’est le choc : l’Université Laurentienne déclare faillite. «Soudainement il y a cette crise, cette immense crise qui nous préoccupe. J’ai des amis qui ont perdu leur emploi, je connais des étudiants qui n’ont plus de programme», s’inquiète Sylvie Harrison, elle-même diplômée de l’établissement.
Selon elle, l’implosion de la Laurentienne a «énormément bouleversé la ville». À ses yeux, l’université était la pierre angulaire de plusieurs organismes culturels et à but non lucratif, alors que les professeurs et les étudiants de l’université animaient la vie culturelle de la ville, ses théâtres et ses festivals.
«En même temps, je me dis que c’était le temps que je sois là, parce que je peux me joindre aux efforts. Participer et avoir cette flexibilité-là, de pouvoir continuer de travailler, mais de faire quelque chose», ajoute-t-elle.