Six décès, de lourdes incapacités, 48 cas suspects et une cause inconnue. L’enquête sur une nouvelle maladie neurologique dégénérative découverte au Nouveau-Brunswick a fait parler d’elle à travers le monde.
Démence progressive, difficulté à marcher et à parler, vision floue, problèmes de mémoire, insomnie sévère, hallucinations, atrophie du cerveau, spasmes musculaires, changements comportementaux, chutes… Ce sont là les symptômes inquiétants de ce syndrome, dont les cas se concentrent dans la Péninsule acadienne et la région de Moncton.
Ce n’est qu’après que Radio-Canada ait obtenu un mémo interne destiné aux professionnels de la santé, en mars dernier, que l’existence de la maladie a été communiquée au grand public.
Désormais, des reportages publiés au cours des derniers jours par les magazines d’information Maclean’s et The Walrus révèlent que le Nouveau-Brunswick a suspendu sa collaboration avec un comité de travail national rassemblant plusieurs chercheurs canadiens.
Selon des documents obtenus par The Walrus, l’Agence de santé publique du Canada et les Instituts de recherche en santé du Canada se réunissaient deux fois par semaine pour organiser les recherches, jusqu’au 3 juin lorsque le gouvernement provincial a demandé aux membres de ce comité national de suspendre leurs activités. Le gouvernement Higgs n’a jamais dévoilé publiquement qu’il écartait cette collaboration.
Le même jour, la ministre de la Santé, Dorothy Shephard, annonçait la mise sur pied d’un comité de surveillance composé de six neurologues et un employé de la Santé publique de la province.
Un intervenant cité par la revue The Walrus décrit une prise de contrôle de l’enquête par le gouvernement provincial et avance que des scientifiques fédéraux ont été muselés à la demande de Fredericton.
Au cours de l’été, le journal Maclean’s s’est lui aussi heurté à l’impossibilité d’interroger des scientifiques de l’Agence de la Santé publique du Canada qui s’étaient exprimés publiquement auparavant.
«L’enquête épidémiologique multijuridictionnelle qui se préparait auparavant a été plus ou moins suspendue. Elle a été remplacée par un processus fermé et opaque que de nombreux experts estiment peu susceptible de produire des résultats fiables et dont certains scientifiques fédéraux craignent qu’il reflète une politisation du processus», résume l’auteur de l’article, Matthew Halliday.
Plusieurs experts s’interrogent notamment sur l’absence d’études environnementales réalisées sur le terrain.
Depuis sa conférence du 3 juin, la ministre Shephard a peu communiqué sur ce dossier. La page web dédiée à l’enquête sur le site de la province n’a pas été mise à jour depuis le début du mois de juillet et les données faisant état de 48 cas sous enquête et de six décès attribuables à ce trouble n’ont pas changé depuis le 29 avril.
Selon The Walrus, ce décompte pourrait être revu à la hausse alors que la clinique spécialisée dans les troubles neurodégénératifs mise sur pied en avril étudie les cas de plus d’une centaine de patients.
L’opposition estomaquée
Le critique libéral en matière de santé, Jean-Claude D’Amours, juge «troublantes» les dernières révélations. Le député d’Edmundston-Madawaska-Centre voudrait voir Fredericton utiliser «toutes les ressources d’enquête disponibles» pour identifier la cause de ce syndrome.
«Pourquoi remplacer un groupe d’experts ayant une expertise spécifique en épidémiologie par des personnes qui n’ont pas le même niveau d’expertise médicale? C’est ahurissant!»
La ministre de la Santé doit une explication aux familles des proches atteints, estime Jean-Claude d’Amour. J’ai le sentiment que la province fournit le moins d’information possible et laisse les gens dans le noir. Des familles sont endeuillées, elles méritent des réponses», lance-t-il.
Megan Mitton, députée de Memramcook-Tantramar pour le Parti vert, reproche elle aussi un manque de transparence dans ce dossier hautement sensible et demande des mises à jour plus régulières.
«Le manque de transparence contribue à propager de l’anxiété et des rumeurs», plaide-t-il.
L’élue souhaite voir la province collaborer le plus possible avec les agences fédérales. «Il faut que le gouvernement mette suffisamment de ressources pour obtenir des résultats. La Santé publique est extrêmement occupée par la pandémie, pourquoi refuser de l’aide? Ça pourrait nous permettre de trouver des réponses plus rapidement», croit-elle.
Le gouvernement promet une mise à jour
Interrogé par l’Acadie Nouvelle, le directeur des communications du ministère de la Santé, Bruce Macfarlane, assure que la ministre Dorothy Shephard fera le point de l’enquête avant la reprise des travaux de l’Assemblée législative le 2 novembre.
«La santé publique et le gouvernement provincial ont suivi le processus d’enquête comme il faut», écrit-il dans un courriel.
Le porte-parole du gouvernement provincial ajoute que les résultats de l’enquête épidémiologique seront «bientôt publiés».
Il précise aussi que l’étude clinique par un comité de surveillance se poursuit et offrira une contrexpertise professionnelle pour assurer la diligence raisonnable et écarter d’autres diagnostics plausibles. Celle-ci devrait être terminée d’ici le début de la nouvelle année.
Des familles en quête de réponses
De leur côté, plusieurs proches de patients touchés par la maladie inconnue continuent de dénoncer le peu d’informations mis à leur disposition. Steve Ellis, dont le père, Roger Ellis, présente tous les symptômes de la maladie mystérieuse depuis juin 2019, a exprimé sa frustration à maintes reprises.
Dans une lettre du 27 septembre qu’il a cosignée avec l’association BloodWatch, M. Ellis demande à la ministre de la Santé de confier l’enquête à l’Agence de la Santé publique du Canada.
Il souhaite que les proches des patients décédés obtiennent une copie des rapports d’autopsie et qu’un «rapport d’étape détaillé soit rendu public rapidement présentant ce qui a été fait pour découvrir la cause de la maladie neurologique affectant les patients de la grappe (cluster), incluant une description détaillée de la façon dont l’Agence de la Santé publique du Canada et Santé Canada ont été impliquées dans l’enquête et une liste de tous les tests environnementaux réalisés jusqu’à présent ainsi que leurs résultats».
M. Ellis appelle enfin à la création d’un comité multipartite chargé de rendre des comptes et propose qu’un représentant des patients puisse avoir voix au chapitre.
Ces demandes se retrouvent également dans une missive envoyée à la ministre au mois d’aout et cosignée par deux patients et quatre proches de patients touchés par la maladie neurologique.