Certains candidats ne ménagent pas leurs efforts sur les réseaux sociaux. C’est le cas de Jagmeet Singh, chef du Nouveau Parti démocratique (NPD), qui relève littéralement les manches de son jersey de sport sur son compte TikTok, exhibant des muscles galbés. En arrière-plan, sur un rap lent, un montage présente des jeunes tout aussi musclés qui dansent en rythme.
La légende (en anglais) précise : «Quand ils disent que les jeunes ne votent pas… Mais tu sais qu’ils vont marquer l’histoire aux prochaines élections.» [traduction libre]
Ses adversaires ne chôment pas non plus. Justin Trudeau enchaine bains de foule et «stories» sur Instagram, tandis qu’Erin O’Toole se montre très présent sur Facebook et Twitter, des médias sociaux plus traditionnels.
Ces dernières plateformes sont «surtout pour les babyboumeurs ou les plus de 35 ans, sans offense!» affirme Trevor Stewart, un Franco-Ontarien de 22 ans impliqué en politique et établi à Hammond, dans l’Est ontarien.
Chacun son réseau, chacun son image, et donc chacun sa stratégie pour engager des électeurs, renchérit Adam Brown, un Franco-Albertain de 24 ans qui est aussi l’ancien président du conseil d’administration de l’Alliance canadienne des associations étudiantes (ACAE).
L’ACAE est à l’origine de la campagne non partisane «Sortons voter», qui a pour but d’augmenter le taux de participation aux élections de la communauté étudiante à travers le pays, anglophone comme francophone : «2,1 millions d’étudiantes et étudiants peuvent faire toute la différence dans cette élection, et chaque vote compte», précise le site de la campagne.
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Davantage d’efforts et de budget pour les réseaux sociaux
Bruno Guglielminetti, ancien producteur et réalisateur chez Radio-Canada, devenu consultant indépendant en stratégie de communication numérique, constate que de plus en plus d’efforts et de budget sont déployés par les équipes de communication des différents partis pour atteindre les jeunes.
«Surtout depuis l’élection de Justin Trudeau. Pendant sa première campagne, on a vraiment senti une différence, un effort important qui continue et monte d’un cran à chaque élection», précise-t-il.
D’après les données de l’Enquête canadienne sur l’utilisation d’Internet de 2018, «les médias sociaux étaient utilisés régulièrement par environ 9 Canadiens de 15 à 34 ans sur 10, 8 Canadiens de 35 à 49 ans sur 10 et 6 Canadiens de 50 à 64 ans sur 10».
Sue Duguay, présidente de la Fédération de la jeunesse canadienne-française (FJCF) originaire de Miramichi au Nouveau-Brunswick, insiste sur un point important : «Ce ne sont pas les politiciens qui attirent les jeunes sur les réseaux sociaux, mais bien les jeunes qui attirent les politiciens!»
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La jeunesse francophone peu ciblée sur les réseaux
Un constat que confirme Trevor Stewart, du côté de l’Ontario. Mais le hic reste le même, d’après lui : les alternatives francophones pour s’informer ou s’engager dans une campagne sont rares, même si les réseaux sociaux permettent des connexions plus faciles entre les organismes et les jeunes. Et les jeunes en font les frais, selon le jeune homme.
«La tranche des 18-30 ans suit la campagne en grande partie sur tous les réseaux sociaux ; un peu moins Facebook, qui est réservé à des personnes plus âgées que 30 ans, observe-t-il. Mais les plus jeunes en âge de voter, dès 18 ans, sont surtout sur TikTok, car l’algorithme de ce réseau est ridiculement avancé comparé aux autres.»
«Mais les jeunes francophones ne sont pas vraiment visés, car la majorité du contenu sur TikTok et sur les autres réseaux est anglophone», déplore Trevor Stewart.
«Nous vivons une crise d’assimilation, accentuée par les réseaux sociaux, et ça se voit d’autant plus en période électorale. Nous sommes élevés dans une mentalité qui nous différencie des Canadiens anglophones. Mais sur les réseaux, nos différences se réduisent, jusqu’à ce que l’on ait les mêmes références qu’eux, car il nous manque des voix, particulièrement en période d’élection», conclut le jeune Franco-Ontarien.
Chiara Concini, 19 ans, vice-présidente de l’Association des Universitaires de la Faculté Saint-Jean (AUFSJ), abonde dans le même sens : «Tout mon entourage lit les nouvelles de la campagne électorale sur Instagram, Twitter, TikTok.»
Celle qui est impliquée dans la campagne «Sauvons Saint-Jean» en Alberta indique suivre «les nouvelles en anglais sur le Globe and Mail. Mais dès que je peux, je les suis en français, davantage sur Twitter ; c’est plus facile de suivre les profils de journalistes de Radio-Canada en Alberta ou du Franco, car ils postent directement les articles sur leurs profils. C’est plus rapide d’accès. Mais il y a toujours peu d’options en français pour les nouvelles, réseaux sociaux inclus».
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«La francophonie n’a jamais été un enjeu électoral national»
Selon Chiara Concini et Adam Brown, tous deux Franco-Albertains, les enjeux pour les francophones hors Québec sont surtout centrés autour de l’éducation postsecondaire en situation minoritaire, avec notamment le sous-financement chronique du Campus Saint-Jean. La modernisation de la Loi sur les langues officielles figure également au sommet des priorités.
D’après Adam Brown, les enjeux francophones ne manquent pas, mais ils sont davantage portés au niveau local ou provincial que national, notamment sur les réseaux sociaux.
En Atlantique et en Ontario, Sue Duguay et Trevor Stewart identifient eux aussi l’avenir de la jeunesse et l’enjeu de la modernisation de la Loi sur les langues officielles.
Le Franco-Ontarien ajoute que malgré que ces enjeux ne soient pas dans l’espace public national, il veut faire l’effort d’informer son entourage le plus possible, pour deux raisons : faire connaitre ces enjeux francophones et lutter contre la désinformation, un écueil particulièrement présent sur les réseaux sociaux.
Sue Duguay œuvre elle aussi sur ces deux points, «surtout en période préélectorale. À la FJCF, nous nous assurons de véhiculer les bonnes informations en français, qui proviennent de sites officiels. Il y a un désir d’expliquer, par exemple, pourquoi vote-t-on de nouveau, deux ans après les dernières élections, via des infographies, des faits concrets. C’est important d’avoir un esprit critique, mais il faut rester capable de détecter la désinformation».