Un gouvernement minoritaire qui jouit d’intentions de vote favorables, qui rêve d’une majorité et qui veut profiter d’une éclaircie favorable pendant la pandémie, de la faiblesse de ses adversaires et du fait que le nouveau chef de l’opposition peine à s’imposer (y compris auprès de sa propre base militante).
Ça vous dit quelque chose?
C’est normal. Malgré les apparences, nous venons en fait de résumer la situation qui prévalait en 2020 au Nouveau-Brunswick quand le premier ministre progressiste-conservateur Blaine Higgs a ordonné le déclenchement d’élections provinciales.
Pour deux hommes qui ont pourtant bien peu d’atomes crochus, Justin Trudeau et Blaine Higgs adoptent des stratégies décidément bien similaires.
La différence est que le gouvernement Higgs avait pris la peine de se manufacturer une petite crise politique durant l’été 2020 avant de demander à la lieutenante-gouverneure de dissoudre l’Assemblée législative.
Souvenez-vous. Il avait ordonné aux trois autres chefs de partis (le libéral Kevin Vickers, le vert David Coon et l’allianciste Kris Austin) de lui accorder carte blanche. Ils devaient s’engager à ne pas faire tomber le gouvernement pendant au moins deux autres années ou jusqu’à la fin de la pandémie.
S’en était ensuite suivi un simulacre de négociations, à la suite desquelles Blaine Higgs avait soutenu ne plus avoir le choix d’en appeler aux électeurs. Nous connaissons la suite. Les progressistes-conservateurs ont réalisé plusieurs gains électoraux. Leur gouvernement minoritaire est devenu majoritaire.
Pour sa part, Justin Trudeau ne s’est pas donné la peine de faire de tels pas de côté. Le gouvernement libéral a beau être minoritaire, il est bien en selle au Parlement. Il a fait adopter son budget au printemps, lequel comprenait notamment une mesure phare : la création d’un programme national de garderies à 10 $, au coût d’environ 30 milliards $.
Sa stabilité n’est pas compromise. Rien n’est survenu au cours des derniers mois qui laisserait présager le contraire.
Alors, pourquoi cette tentation d’aller aux urnes, alors que la loi prévoit que le prochain scrutin ne devra avoir lieu que le 16 octobre 2023? Parce que Justin Trudeau et ses stratèges politiques estiment qu’il n’y aura pas de meilleur moment pour obtenir une majorité, tout simplement.
Il faut dire que malgré la loi, les politiciens ne perdent pas le pouvoir de demander la dissolution de la Chambre des communes ou de l’Assemblée législative. Des recours judiciaires pour empêcher cela de survenir ont échoué devant les tribunaux.
Les libéraux fédéraux ne seront ni les premiers, ni les derniers à provoquer un scrutin avant la date pourtant prévue par la loi. Une dizaine de campagnes électorales ont ainsi été déclenchées prématurément en dépit d’une loi sur les élections à date fixe, selon un recensement effectué par Le Devoir.
Parmi celles-ci, il y a bien sûr les élections néo-brunswickoises de 2020. Blaine Higgs n’avait pas été puni par l’électorat. Justin Trudeau s’apprête à faire le même pari.
Nous avions dénoncé les intentions de M. Higgs en 2020. Nous faisons de même avec M. Trudeau. Il n’y a aucune bonne raison de déclencher des élections précipitées, alors que se profile à l’horizon le spectre d’une quatrième vague de COVID-19.
Nous ne partageons toutefois pas l’opinion du chef néo-démocrate fédéral Jagmeet Singh, qui a écrit à la gouverneure générale du Canada, Mary Simon, afin de lui demander de rejeter une demande éventuelle de Justin Trudeau de dissoudre la Chambre.
La gouverneure générale a officiellement des pouvoirs très étendus. Dans les faits, il s’agit toutefois d’un poste symbolique et occupé par une personne non élue. La convention veut qu’elle se range à l’avis du premier ministre.
Il existe de rares exceptions. Elle pourrait par exemple rejeter la demande d’un premier ministre minoritaire qui voudrait déclencher de nouvelles élections dans les jours qui suivent un scrutin parce qu’il n’arrive pas à obtenir la confiance de la Chambre et qui refuserait aux partis d’opposition le privilège de tenter d’y parvenir. C’est ce qui est arrivé en Colombie-Britannique en 2017.
Sinon, le rôle de la gouverneure générale consiste à accomplir ce que lui dit de faire le premier ministre. Une personne nommée et qui n’est pas élue n’a pas à se mettre en travers d’un exercice démocratique.
Même pour une élection inutile. Même en pandémie.