Le projet de loi C-21 créerait un programme de rachat volontaire des armes d’assaut et interdirait l’utilisation et le transport de ces armes. Il délèguerait aussi aux municipalités le pouvoir de restreindre le transport et l’entreposage des armes de poing sur leur territoire.
Les mesures annoncées mardi dans le projet de loi C-21, Loi modifiant certaines lois et apportant certaines modifications corrélatives (armes à feu), visent à compléter les engagements que le Parti libéral avait pris en matière de règlementation des armes à feu lors de la campagne électorale de 2019.
Environ 1500 modèles d’armes d’assaut sont bannis au Canada depuis mai 2020, après la modification par décret de certaines dispositions règlementaires.
En conférence de presse, le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, Bill Blair, a expliqué que le programme de rachat proposé dans le projet de loi sera volontaire puisque le gouvernement ne disposait pas de suffisamment d’informations sur la localisation et les propriétaires des armes d’assaut pour rendre le programme obligatoire.
Le ministre Blair a estimé qu’il y aurait entre 100 000 et 150 000 fusils d’assaut en circulation au Canada. Il a suggéré que le prix de rachat moyen d’une arme d’assaut serait d’environ 1300 $, ce qui placerait le cout du programme entre 130 millions $ et 195 millions $.

Le professeur Irwin Waller, du Département de criminologie de l’Université d’Ottawa, explique que cette initiative suit l’expérience de l’Australie et celle, plus récente, de la Nouvelle-Zélande : «Ça va réduire la possibilité d’avoir une autre Polytechnique, une autre mosquée [de Québec] ou une autre situation dans une école ou un centre commercial.»
Le Dr Caillin Langmann, professeur de médecine clinique à la Faculté des sciences de la santé de l’Université McMaster, est un peu plus circonspect : «La plupart des programmes de rachats sont inefficaces. Ils ramassent des armes trop vieilles ou brisées que les gens ramènent pour être payés. Même en Nouvelle-Zélande, la plupart des armes d’assaut n’ont pas été retournées, et le programme est obligatoire.»
Des réactions mixtes du côté de l’opposition
Le programme de rachat volontaire des armes d’assaut serait une «demi-mesure» selon Kristina Michaud, porte-parole du Bloc québécois en matière de sécurité publique. Elle dénonce une «décision politique» visant à ménager les promesses électorales du Parti libéral, tout en faisant des concessions au lobby des armes à feu.
«Les gens vont pouvoir garder l’arme à la maison [alors que] le but était d’assurer la sécurité des communautés, d’enlever ces armes des maisons. Même si elles sont entreposées, elles sont toujours là. Et il y a plein de choses dans la vie qui sont illégales et qu’on utilise quand même. […] Donc on passe à côté de l’objectif, qui était d’enlever ces armes qui ont été produites pour le champ de bataille, de nos maisons, de nos rues», déplore Kristina Michaud.

Le Bloc québécois proposera donc des amendements pour rendre le programme de rachat des armes d’assaut obligatoire, indique la députée d’Avignon – La Mitis – Matane – Matapédia.
Pour Richard Martel, lieutenant politique pour le Québec du Parti conservateur du Canada (PCC), les nouvelles mesures proposées dans le projet de loi C-21 n’ont pas lieu d’être puisqu’à son avis la législation actuelle sur les armes à feu est suffisamment contraignante. Le problème est qu’elle n’est pas appliquée, défend-il.
«C-21 ne s’attaque pas aux vrais problèmes. C’est le trafic d’armes. C’est les frontières. Il n’est pas fair parce qu’il s’attaque aux chasseurs et aux tireurs d’élite, des citoyens honnêtes!» s’exclame Richard Martel.

Le député de Chicoutimi – Le Fjord souligne que le PCC n’appuiera pas le projet de loi C-21.
Dans un échange de courriel avec Francopresse, le chef du Nouveau Parti démocratique (NPD), Jagmeet Singh, souligne que «le NPD se bat depuis un certain temps pour que les armes d’assaut de type militaire ne soient plus utilisées dans la rue. […] Notre priorité est de nous assurer que les mesures qui seront adoptées soient efficaces et que nous faisions tout ce qui est en notre pouvoir pour éviter que des tragédies comme celles de la Polytechnique, de la mosquée de Québec et de la fusillade en Nouvelle-Écosse ne se reproduisent.»
Ottawa jette les armes de poing dans la cour des municipalités
S’il est adopté, le projet de loi C-21 permettra aux municipalités d’adopter des règlements pour restreindre le transport et l’entreposage des armes de poing (à canon court) sur leur territoire.
Jagmeet Singh affirme soutenir l’idée de donner aux municipalités le pouvoir d’interdire les armes de poing.
L’Union des municipalités du Québec (UMQ) s’oppose toutefois à ce que cette responsabilité repose sur les épaules des municipalités : «C’est unanime dans le milieu municipal, il faut resserrer le contrôle sur les armes à feu pour lutter contre la criminalité. Cependant, le gouvernement fédéral doit prendre l’ensemble de ses responsabilités. Il faut des règles uniformes définies par Ottawa. Par souci de cohérence, il est impensable de règlementer d’une façon dans une municipalité et d’une autre façon dans une municipalité voisine», défend l’organisme par communiqué.
Pour Kristina Michaud, du Bloc québécois, «le fédéral se déresponsabilise. C’est son engagement, c’est à lui de retirer les armes de poing. En rejetant ça dans la cour des municipalités, on se retrouve avec plus de mille municipalités qui peuvent agir différemment.»
La députée fédérale ajoute que ce ne sont pas toutes les villes qui ont les mêmes capacités financières et que le fédéral «laisse les villes à elles-mêmes, sans trop leur donner de moyens ou d’indications. On y voit clairement un problème.»
Le professeur Irwin Waller, de l’Université d’Ottawa, voit également des lacunes dans cette manière de faire. Il donne l’exemple de Chicago, dans l’État de l’Illinois, qui avait une règlementation très restrictive pour les armes à feu : «À Chicago, les gens qui sont responsables de 600, 700 homicides obtiennent leurs armes de poing d’un autre État, l’Indiana. Si Toronto a une loi qui restreint l’accès aux armes de poing, ça ne va pas diminuer l’accès des gangs de rue ; ça prend une politique nationale.»
Pour le Dr Caillin Langmann, de l’Université McMaster, ce type d’approche est un «marasme» bureaucratique : «C’est une restriction pour les propriétaires d’armes à feu légales, mais les criminels ne vont pas en tenir compte. Les armes sont toujours là, donc les gens vont les acheter ou les voler : ils vont traverser les frontières municipales de toute façon. Ça n’a aucun sens.»
Appuyer les jeunes à risque, le nerf de la guerre
En plus de resserrer la règlementation des armes d’assaut, le projet de loi permettrait à la Cour de confisquer les armes d’une personne jugée dangereuse pour elle-même ou autrui (système de «drapeau rouge»), renforcerait la lutte au trafic d’armes et financerait des initiatives de lutte aux gangs de rue et de soutien aux jeunes à risque.
Pour le criminologue Irwin Waller, les programmes d’intervention auprès des jeunes contribuent davantage à la réduction de la violence par arme à feu que les politiques restreignant l’accès aux armes de poing.
Jagmeet Singh estime pour sa part que «l’interdiction des armes à feu ne suffira pas à elle seule. Il faut voir si les programmes de lutte contre les gangs sont efficaces, mais il faut aussi garantir l’accès universel à des programmes sociaux solides, à des aides à la santé mentale, etc.»
La bloquiste Kristina Michaud souligne cependant que «la santé est de juridiction provinciale, et c’est Québec qui doit mettre en place ce genre de programme. Ce qu’on demande, c’est que le fédéral transfère les fonds à Québec. L’expertise est là, ils vont pouvoir assurer des programmes de ce genre-là pour la santé mentale des jeunes.»
Selon le professeur Waller, «[l’important] ce sont les investissements qui s’attaquent aux causes, aux raisons pour lesquelles de jeunes hommes obtiennent et utilisent les armes de poing. Et on a beaucoup de connaissances aujourd’hui sur comment attaquer ces causes. S’il y avait des investissements adéquats à Toronto, on pourrait avoir d’ici deux à trois ans 50 % moins d’homicides reliés aux armes de poing et aux gangs de rue qu’aujourd’hui.»
Le Dr Langmann est d’accord : «La seule chose qui a été démontrée comme étant efficace [pour réduire la violence par arme à feu, NDLR], ce sont les programmes de diversion des jeunes [youth diversion]. Donc on doit trouver les jeunes à risque qui commencent à commettre des crimes mineurs et immédiatement tenter de les détourner du crime avec des thérapies cognitives et béhaviorales, des programmes d’éducation et d’emploi.»
Les 250 millions $ sur cinq ans qu’Ottawa propose d’investir pour financer de tels programmes dans les municipalités seront largement insuffisants, selon le professeur Waller.
Il note que la Ville de Toronto aurait besoin d’un investissement de l’ordre de 10 % du budget de la police dans des programmes de prévention de la violence auprès des jeunes, soit 100 millions de dollars annuellement.
Au Canada, estime Irwin Waller, un investissement d’au moins 500 millions de dollars par année dans de tels programmes serait nécessaire, tous paliers de gouvernement confondus.
«Pour moi, c’est certain qu’on peut réduire le nombre de personnes tuées et le nombre de personnes blessées si on investit pour s’attaquer aux causes de la violence, selon les connaissances qu’on a aujourd’hui. On sait comment arrêter cette violence, on a une bonne idée des couts nécessaires pour le faire, mais les gouvernements continuent à croire que des petits projets à court terme vont régler le problème», s’exaspère Irwin Waller.