La reine Elizabeth II s’est éteinte le 8 septembre dernier. Sa mort marque indéniablement la fin d’une époque. Mais aussi celle de la royauté au féminin : il n’y aura plus de femmes sur le trône britannique avant au moins trois générations.
Bien que n’ayant aucune affinité particulière pour le personnage de la reine, qui incarne des valeurs conservatrices et colonialistes bien loin des miennes, je dois reconnaitre la force de caractère qui lui aura fallu pour évoluer pendant 70 ans dans des sphères pas franchement féministes et pour diriger tous ces messieurs – et ces quelques dames – avec diplomatie. Personnellement, j’aurais claqué la porte après deux mois (mais j’ai l’impression qu’on ne m’aurait jamais donné le poste en premier lieu).
Cela suffirait-il pour faire de la reine une icône féministe, comme le pensent certaines personnes, à l’instar d’Olivia Colman, l’une des actrices jouant le rôle de la monarque dans la série The Crown? Certainement pas.
Bien que la reine Elizabeth II ait insufflé un léger vent de modernité sur la monarchie britannique et qu’elle ait contribué à normaliser le fait que les femmes puissent occuper les plus hauts postes du pouvoir, elle n’a jamais brillé par ses positions en faveur de l’égalité des genres.
Pire encore : bien qu’à la tête d’un empire colonial directement à l’origine de millions de morts, elle n’a jamais fait la moindre déclaration ni exprimé de regrets officiels sur le sujet. Rappelons d’ailleurs qu’il y a un an, des activistes ont déboulonné sa statue à Winnipeg en guise de protestation.
Une mère avant tout?
Si la reine Elizabeth II n’était certainement pas féministe, il n’en est pas moins resté une femme contrainte d’évoluer dans un monde d’hommes, et ce, malgré ses nombreux privilèges. Comme toutes les femmes en position d’autorité, elle s’est heurtée à maintes reprises au sexisme. Notamment sur son rôle de mère.
Ainsi, dans l’émission spéciale consacrée au décès de la monarque diffusée par Radio-Canada le 8 septembre dernier, Céline Galipeau, journaliste aguerrie, pose la question de savoir si elle a été «une aussi bonne mère qu’elle a été une grande cheffe d’État», sous-entendant que non. Une question qui n’a cessé d’être posée, décennie après décennie, par nombre de journalistes à travers le monde. En aurait-il été de même si elle avait été un homme? Probablement pas.
Ce phénomène porte un nom : le «mom-shaming», soit le fait de culpabiliser les mères sur la manière dont elles éduquent leurs enfants. Par exemple, sur le fait qu’elles n’allaitent pas, ou pas suffisamment longtemps, ou trop longtemps. Sur leur manière de se comporter lorsqu’elles sont enceintes – comme Meghan Markle en 2018, accusée de trop caresser son ventre durant une cérémonie. Sur le fait qu’elles travaillent trop, ou pas assez.
Quoi que les mères fassent, ou ne fassent pas, il se trouve toujours quelqu’un pour leur dire que c’est mal. Et rares sont celles à y échapper. Ainsi, dans un sondage réalisé en 2017 aux États-Unis, près des deux tiers des répondantes disaient avoir déjà été critiquées sur leur rôle de parent et avoir eu honte de leurs compétences parentales.
Double standard
Aujourd’hui, dans l’inconscient collectif, ce sont encore les mères les principales responsables des soins et de l’éducation des enfants. Leur dévouement est considéré comme normal. Il est attendu d’elles qu’elles soient «parfaites», et derrière cette injonction se cache une liste infinie d’exigences irrationnelles. À la moindre erreur, elles se retrouvent sur la sellette, cibles potentielles d’un déferlement de violence misogyne sur les réseaux sociaux.
Pendant ce temps, preuve s’il en faut des inégalités de genre dans lequel se perpétue le mom shaming, les pères qui effectuent des tâches aussi simples que de réchauffer un biberon se voient couvrir d’éloges, comme le chanteur français Vianney un peu plus tôt cette année. Quel bel exemple de double standard!
Alors, la prochaine fois que l’on aura envie de donner un «conseil» à notre amie sur sa manière d’éduquer ses enfants, peut-être y réfléchirons-nous à deux fois? C’est en construisant des réseaux de solidarité, de confiance et de soutien que nous bâtirons un monde meilleur.
Julie Gillet est directrice du Regroupement féministe du Nouveau-Brunswick. Ses chroniques dans Francopresse reflètent son opinion personnelle et non celle de son employeur.