À l’été 2020, le gouvernement de Justin Trudeau annonçait la mise en place d’un programme de régularisation pour les demandeurs d’asile ayant travaillé dans les établissements de soins lors des premiers mois de la pandémie.
Vous vous rappelez ces longs mois où ces établissements s’étaient transformés en mouroirs, où personne ne voulait aller travailler et où le matériel manquait? Qui n’a pas fait l’éloge de ces «anges gardiens» qui ont accepté le défi?
L’émoi créé dans tout le pays envers ces travailleurs et travailleuses de misère laissait alors penser que les choses allaient changer.
Mais rien ne s’est passé comme prévu, dès le début.
Le premier ministre québécois a joué du coude pour restreindre la portée du programme. Il a réussi à obtenir auprès d’Ottawa que certaines professions soient retirées de la liste de celles admissibles, notamment les préposés à l’entretien et les gardiens de sécurité.
Le programme ne concernait plus donc que les personnes ayant prodigué des «soins directs» aux patients. Comme si un établissement de soins pouvait fonctionner sans ces travailleurs et travailleuses essentiels que sont les préposés à l’entretien! C’est manifestement la conception qu’en a François Legault.
On s’est donc retrouvé avec deux programmes. Le premier, baptisé Anges gardiens pour les demandeurs d’asile travaillant sur les lignes de front, a été lancé le 2 juin 2021. Il est non plafonné et valide pour toutes les provinces, y compris le Québec.
Il vise les personnes ayant fourni des soins directs et s’adresse spécifiquement aux demandeurs d’asile déboutés ou en attente d’une décision concernant leur demande de résidence permanente.
Le deuxième programme est la Politique d’intérêt public temporaire visant à faciliter l’octroi de la résidence permanente aux étrangers qui se trouvent au Canada, hors Québec, et ont récemment acquis une expérience de travail canadienne dans une profession jugée essentielle.
Cette mesure cible tous les résidents temporaires et les diplômés étrangers d’une institution canadienne admissible. Elle a des critères d’admissibilité plus souples. Par exemple, elle inclut le personnel d’entretien.
Elle a cependant fait l’objet de critiques, à juste titre, parce que le gouvernement fédéral a été bien trop restrictif sur le nombre d’heures travaillées et a fixé une période trop serrée pour présenter une demande de résidence permanente (entre le 6 mai et le 5 novembre 2021).
Cette politique prévoyait néanmoins que quelque 90 000 demandes seraient acceptées pour examen : 20 000 dans le secteur des soins de santé, 30 000 dans d’autres professions jugées essentielles et 40 000 diplômés étrangers d’une institution postsecondaire canadienne.
Il faut également noter que cette Politique d’intérêt comportait un volet spécifique pour les étrangers d’expression française hors Québec, un sous-programme qui n’était pas plafonné.
Des résultats bien médiocres en comparaison des enjeux
Selon les chiffres d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC), le programme Anges gardiens a reçu, entre le 14 décembre 2020 et le 1er mai 2021, 5 080 demandes de l’Ontario, dont 4 195 qui remplissaient les critères préliminaires, et 3 335 demandes du Québec, dont 2 780 qui répondaient aux critères préliminaires.
Peu de demandes remplissant les critères préliminaires pour l’obtention d’un visa de résidence permanente ont été soumises dans les autres provinces, soit notamment 125 en Alberta, 100 au Manitoba, 35 en Colombie-Britannique, 30 à Terre-Neuve, 15 au Nouveau-Brunswick.
Selon des données collectées par Radio-Canada en septembre 2021, le Québec avait délivré environ 2 900 certificats de sélection. C’est pourtant dans cette province que les besoins étaient les plus criants et où la pandémie a eu les conséquences les plus dévastatrices.
Le cas de Mamadou Konaté est emblématique. Il a travaillé dans trois CHSLD en zone rouge. Il y a contracté la COVID. Il a aujourd’hui un emploi dans un autre milieu. Il est un citoyen exemplaire. Il vit depuis plus de six ans au Québec.
Malgré cela, il risque fort bien d’être expulsé dans les prochains jours.
Ottawa lui a refusé sa demande d’asile jugeant que sa vie n’était pas en danger s’il retournait en Côte d’Ivoire. Il y en aurait long à dire sur cette décision, mais le problème demeure que, s’il faut bien des règles au système d’immigration, ces dernières devraient être appliquées avec une certaine souplesse.
Il faudrait également que la pénurie de main-d’œuvre soit réellement prise en compte. À quoi bon renvoyer un demandeur d’asile qui est au Canada depuis six ans, qui est parfaitement intégré et qui occupe un emploi dont, soyons francs, aucun Canadien ne veut?
De façon générale, les chiffres susmentionnés ne correspondent en rien aux besoins gigantesques du secteur de la santé et des soins de longue durée au Canada.
Ils ne reflètent pas non plus le fait que de nombreux professionnels de la santé formés à l’étranger ou disposant d’une expérience de travail pertinente acquise à l’étranger résident au Canada sans pour autant pouvoir contribuer à pallier ces lacunes à cause de systèmes désuets, de politiques systématiquement discriminatoires et de préjugés racistes.
En mars 2022, le gouvernement du Canada se targuait d’avoir battu un record en ayant accueilli plus de 405 000 nouveaux résidents permanents en 2021.
Or, ce rythme devra non seulement être soutenu pour atténuer la pénurie de main-d’œuvre, mais il faudra sérieusement redoubler les efforts pour attirer, intégrer et retenir des immigrants dans le secteur de la santé étant donné le vieillissement de la population canadienne.
Pourtant, force est de constater que le Canada fait marche arrière en la matière puisque de récentes statistiques montrent que l’utilisation des compétences chez les travailleurs immigrants récents diminue.
Pour les travailleurs de la santé formés à l’étranger, ce sous-emploi s’accompagne d’une déqualification qui réduit à néant leurs années de formation et d’expérience professionnelle.
C’est un gâchis humain et une honte nationale!