M. Doucet a soumis ses suggestions dans un rapport publié par l’Institut canadien de recherche sur les minorités linguistiques (ICRML) dans la cadre de la révision de la Loi sur les langues officielles.
Il veut que l’État offre des prestations distinctes aux deux principales communautés linguistiques de la province en fonction de leurs différences, pour que la minorité bénéficie de la même qualité de service que la majorité.
«Cette démarche est la norme en droit canadien», constate-t-il.
Le militant acadien estime surtout que le respect des droits des minorités est l’un des piliers du contrat social néobrunswickois, détaillé dans la Charte canadienne des droits et des libertés, la Loi sur les langues officielles et la Loi reconnaissant l’égalité des deux communautés linguistiques officielles.
«Ce sont des textes adoptés par nos parlementaires, la plupart du temps à l’unanimité», rappelle-t-il pour faire valoir leur légitimité démocratique.
Le professeur pointe néanmoins la grande contribution des juges, qui ne sont pas élus, dans l’élaboration de la philosophie qui fonde les droits linguistiques.
«Ce sont les tribunaux qui ont défini la communauté de valeurs auxquelles nous adhérons. Ce sont les tribunaux qui ont défini les réalités culturelles fondamentales et l’héritage que l’on veut préserver», appuie-t-il.
Manque d’engagement militant
M. Doucet se désole à ce propos de ce qu’il juge être un manque d’engagement des Acadiens en faveur de leurs droits.
«Une communauté existe lorsque ses membres sentent le besoin de s’engager dans la défense d’une identité commune, remarque-t-il. Les droits linguistiques cherchent à formaliser l’existence de cette communauté, mais ils n’ont d’effet que si les membres de cette communauté y adhèrent et y croient.»
Or, le professeur avance que c’est justement parce que les droits linguistiques préservent le patrimoine culturel et la pérennité d’un groupe qu’ils sont aussi fondamentaux que des droits individuels comme la liberté d’expression, de pensée, d’opinion et de religion.
«Si tel n’était pas le cas, nous pourrions nous questionner sérieusement sur la nécessité de reconnaitre ces droits, puisque les membres individuels de la communauté minoritaire peuvent généralement s’exprimer dans la langue de la majorité», ajoute-t-il en référence au bilinguisme des Acadiens.
C’est pourquoi il va jusqu’à se demander si l’Acadie du Nouveau-Brunswick a choisi la voie de son «autodestruction», malgré les célébrations bruyantes du 15 aout.
«En ce qui a trait aux questions politiques qui pourraient avoir un impact important sur la communauté, les Acadiens et Acadiennes semblent absents, regrette-t-il. Il ne se passe tellement rien en Acadie sur le plan de la recherche de l’égalité linguistique que l’on pourrait penser que la communauté dort à poings fermés.»
La Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick (SANB) compte par exemple 20 000 membres, dont seulement 645 ont participé à l’élection du président, Alexandre Cédric Doucet, selon le dernier rapport annuel de l’organisme. Cependant, le nombre de personnes ayant le français comme langue maternelle est de 232 000 dans la province, d’après Statistique Canada.
«Les demandes des groupes minoritaires ne seront pas toujours les mêmes», note M. Doucet à propos de la nécessité pour les gouvernements de tenir compte de leur situation particulière pour les mettre en situation d’égalité avec la majorité.
Mais qui est légitime pour faire ces demandes, au Nouveau-Brunswick?
De nombreuses propositions
Professeur émérite en droit de l’Université de Moncton, Michel Doucet fait une soixantaine de propositions pour renforcer la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick (LLO). En voici quelques-unes :
- Un engagement du gouvernement provincial à soutenir l’éducation, la santé, l’immigration, la culture et la justice en français ainsi que les institutions acadiennes.
- Un engagement du gouvernement provincial à élaborer un plan annuel, avec des objectifs et des mesures de rendement, pour assurer notamment l’égalité d’usage du français et de l’anglais dans les services publics et l’amélioration du bilinguisme des cadres de l’administration.
- La création d’un Comité permanent des langues officielles à l’Assemblée législative, ayant entre autres la charge d’étudier un rapport annuel des services publics concernant leur plan d’action pour respecter les obligations imposées par la LLO.
- Un usage équilibré des langues officielles durant les annonces et les conférences de presse gouvernementales.
- L’exigence d’un bon niveau de français pour les sous-ministres, les sous-ministres adjoints et les cadres supérieurs de l’administration provinciale ou l’obligation d’un engagement de leur part à apprendre cette langue avant 2025.
- Le droit pour les fonctionnaires de travailler avec des outils et une documentation qui respecte la langue officielle de leur choix.
- L’obligation de s’assurer que les foyers de soins offrent des services en français dans toutes les régions de santé de la province.
- L’obligation des administrations ayant été soumises à une enquête du Commissaire aux langues officielles de détailler par écrit les moyens pris pour se conformer à leurs obligations sous peine d’une sanction pécuniaire.
- Le droit pour le Commissaire aux langues officielles d’exercer un recours devant les tribunaux pour faire respecter la LLO, en profitant d’une nouvelle règle selon laquelle l’administration aura la charge de prouver qu’elle n’a pas enfreint la loi.