La discussion, organisée par l’Association des boursiers de la Fondation Ricard et modérée par le juriste Gabriel Poliquin, visait d’abord à discuter des impacts du dépôt du livre blanc sur les langues officielles par la ministre Joly en février dernier.
Cette dernière a indiqué que ce document de réforme vise en partie à accroitre le bilinguisme chez les anglophones canadiens, qui sont à la traine lorsqu’on les compare aux francophones.
Un moyen, selon Mélanie Joly, de s’assurer que «les francophones soient encore plus respectés».
Stéphanie Chouinard, professeure au Département de sciences politiques du Collège militaire royal du Canada, a souligné que les francophones au pays auraient largement préféré voir le dépôt d’un projet de loi.
La ministre Joly a répliqué que le document de réforme était tout de même nécessaire pour assurer la création d’un consensus parmi les parlementaires, dans un contexte où le projet de modernisation de la Loi sur les langues officielles a été retardé de quelques mois à cause de la pandémie.
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Stéphanie Chouinard a ajouté que si la Loi sur les langues officielles est la «coupe Stanley» pour les francophones hors Québec, le document de réforme a eu beaucoup moins de traction chez les Québécois – même si les propos de la députée libérale Emmanuella Lambropoulos, en novembre 2020, ont augmenté la visibilité de l’enjeu.
Ce qui complique la donne au Québec, c’est l’imminent projet de loi du gouvernement Legault pour renforcer la Charte de la langue française : «Ça risque de brasser», croit la politologue, puisque le gouvernement caquiste a déjà annoncé son intention d’avoir recours à la clause dérogatoire.
La petite enfance est la clé
Gino LeBlanc, directeur du Bureau des affaires francophones et francophiles de l’Université Simon Fraser, a observé que si l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés cible l’éducation primaire et secondaire, c’est plutôt l’éducation à la petite enfance qui est la clé pour assurer la transmission de la langue dans les communautés francophones en situation minoritaire.
Mélanie Joly en a profité pour indiquer qu’à cet effet, le gouvernement propose dans son budget 2021-2022 d’investir 30 milliards $ dans les garderies au cours des cinq prochaines années – une opportunité pour créer au réseau de garderies francophones au pays.
Selon la ministre, «c’est fondamental que les communautés francophones au pays s’organisent pour aller chercher leur juste part du financement qu’on va vouloir mettre sur la table avec les provinces».
«Je ne pense pas que le système de garderie va se faire avec 13 provinces et territoires [en claquant des doigts]. Je pense qu’il va se faire par province, et certaines provinces vont vouloir aller plus vite que d’autres là-dessus», ce qui renforce d’autant plus l’importance de la mobilisation des communautés francophones, ajoute-t-elle.
L’importance du postsecondaire
Gabriel Poliquin a rappelé les récentes crises dans l’éducation postsecondaire en français à travers le Canada : l’Université de l’Ontario français (UOF), le Campus Saint-Jean de l’Université de l’Alberta et maintenant l’Université Laurentienne.
Mélanie Joly considère que la gestion de ces crises est épineuse pour Ottawa : d’un côté, on ne veut pas «déresponsabiliser» les provinces envers leurs communautés francophones, mais de l’autre, le gouvernement fédéral ne peut pas affaiblir les communautés francophones.
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Elle souligne qu’une Loi sur les langues officielles modernisée donnera à Ottawa de nouveaux outils financiers et juridiques pour pouvoir intervenir.
Mélanie Joly pense aussi que la mobilisation de la communauté francophone est essentielle pour régler ce type de dossiers : dans le cas de l’UOF, l’agitation des Franco-Ontariens et la couverture médiatique nationale ont mis de la pression sur tous les partis politiques à Ottawa, ce qui a ultimement fait bouger le gouvernement Ford – non sans encouragements de la «famille» politique conservatrice.
En ce qui concerne l’Université Laurentienne, la ministre Joly souligne que c’est la première fois qu’une université canadienne se place sous la protection de la Loi sur les arrangements avec les créanciers.
Elle évoque que trois scénarios sont sur la table pour l’éducation postsecondaire en français dans le Nord de l’Ontario : le premier, pour lequel il y a peu d’intérêt de la part des parties prenantes, serait de renflouer l’Université Laurentienne.
Un second scénario serait de concrétiser le projet d’une Université de Sudbury francophone, mais il reste à voir ce qu’il faudrait faire pour qu’elle obtienne les accréditations nécessaires, dit Mélanie Joly.
Le troisième scénario, selon la ministre, serait de tenter de créer un réseau avec l’UOF et l’Université de Hearst, basé sur le modèle de l’Université du Québec.
Si par le passé des établissements bilingues ont été choisis pour assurer l’éducation postsecondaire en français, la création de l’UOF a transformé les mentalités, selon Mélanie Joly. La question, maintenant, est de créer des institutions postsecondaires «par et pour» les francophones en Ontario, croit-elle.
Elle ajoute que son bureau est en discussion avec le ministre ontarien des Collèges et Universités, Ross Romano, et la ministre des Affaires francophones, Caroline Mulroney.