Statistique Canada dénombrait qu’en 2016, au Manitoba, seulement 80 personnes avaient le michif-français comme langue maternelle.
Le michif-français est l’un des trois dialectes mitchif qui existent. Les deux autres étant le Northern Michif, dialecte principalement cri, et le Heritage Michif.
Le michif-français, comme les autres langues, est en déclin parce que pendant longtemps il a été considéré comme une façon très pauvre de parler le français. On enseignait aux enfants métis dans les écoles françaises à parler un meilleur français. La langue a longtemps été stigmatisée.
Cette insécurité linguistique a mené plusieurs adultes à perdre leur langue. La plus grande population parlant le mitchif-français se trouve à Saint-Laurent.
Avec ce constat bien en tête, l’UNMSJM a décidé d’offrir des cours de mitchif-français. Une initiative bien accueillie pour la docteure en psychologie, Nathalie Freynet : «La capacité langagière va permettre de faciliter les rassemblements entre individus autour d’un point commun, la langue.»
Selon elle, «cette langue commune va renforcer le sentiment d’appartenance à un groupe et plus largement l’identité langagière rentre dans un ensemble plus général qui est l’identité d’un groupe».
Elle poursuit : «Ce qui est fascinant avec l’apprentissage d’une langue, c’est qu’il participe au bienêtre des personnes. Avoir un sentiment d’appartenance à un groupe est extrêmement bénéfique. L’isolement est rompu et des liens peuvent se former.»
Paulette Duguay, présidente de l’UNMSJM, souligne l’attrait des cours :
On voit de l’intérêt chez les jeunes et moins jeunes. Chaque cours a rassemblé une douzaine de personnes. On a dû refuser des personnes pour ces sessions. Il y a véritablement un mouvement de fierté métis.
« Un effort de réaffirmation »
«Les enseignants sont rares. Les sessions sont des cours d’introduction. Cinq femmes nous donnent ces cours et trois d’entre elles ont publié un dictionnaire de mitchif-français intitulé “Michif French as spoken by most Michif people of St. Laurent”, publié en 2016 par la librairie McNally Robinson. Ce livre comprend des recettes, des prières, une organisation alphabétique et thématique des mots.»
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Le livre «Michif French as spoken by most Michif people of St. Laurent» a été écrit par June Bruce, Agathe Chartrand, Lorraine Coutu Lavallée, Doris Mikolayenko Leclerc et Patricia Millar Chartrand. Doris Mikolayenko Leclerc et Patricia Millar Chartrand sont décédées.
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Nathalie Freynet insiste sur l’importance des cours de ce genre. «L’éducation de cette langue peut aussi permettre la revitalisation d’une langue qui aurait tendance à disparaitre. De plus, la langue est un moyen de réaffirmer la position culturelle d’un groupe qui a pu connaitre dans le passé des discriminations reliées à sa langue. C’est donc d’autant plus important d’offrir des cours de cette langue et participer à un effort de réaffirmation qui s’inscrit dans une fierté identitaire.»
Pour elle, «pour ne pas disparaitre, une langue doit être transmise, à l’oral comme à l’écrit.»

C’était d’ailleurs tout l’objectif de ces cinq femmes qui ont décidé de prendre en main la revitalisation de leur langue, comme le souligne Paulette Duguay.
«Ces femmes voulaient transmettre la langue à leurs petits-enfants. Au départ, ce dictionnaire n’avait pas pour but d’être publié.»
La docteure en psychologie explique qu’au fur et à mesure, il y a eu de plus en plus d’intérêt pour cette langue. «Les cours et les outils comme ce dictionnaire permettent de préserver la culture. C’est plus que jamais un enjeu.»

«Je suis très fière que l’Union puisse offrir ces cours, et surtout très reconnaissante aux personnes de nous consacrer du temps pour enseigner cette langue si riche», précise-t-elle.
Paulette Duguay donne d’ailleurs quelques exemples marquants durant ces cours : «Le mitchif-français est une langue très phonétique».
Par exemple, pour dire «ma mère va faire cuire la galette» on écrit «ma mayr i fayr kwir la galet».
«C’est un vrai atout de connaitre un peu le français puisque les sons peuvent se ressembler. Finalement, on écrit comme on entend. Exemple : pour le son [k], on écrira un k et pas un c. C’est vraiment fascinant», assure-t-elle.
«Apprendre à écrire, c’est bien, mais évidemment pour faire vivre une langue, il faut la pratiquer au travers de conversation. Quand je relis mes devoirs et mes notes, je vois le besoin de travailler l’oral aussi.»
Paulette Duguay espère pouvoir redonner des cours de mitchif-français après la période de Noël : «Trois des cinq enseignantes viennent de Saint-Laurent. Alors on va attendre que les mauvais jours de météo passent.»
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L’intérêt de la communauté
«On voit l’intérêt grandissant de la communauté. La Société historique de Saint-Boniface a eu la gentillesse de nous prêter leur salle pour donner ces cours afin de respecter les distanciations sociales», explique Paulette Duguay, présidente de l’Union nationale métisse Saint-Joseph du Manitoba (UNMSJN).
«Et quand l’Université de Saint-Boniface a appris que l’on donnait ces cours, on nous a contactés parce que l’USB aimerait être un partenaire dans ce projet. Ils sont prêts à nous appuyer en nous prêtant une salle de cours. Ces cours ont donc de beaux jours devant eux, je l’espère.»
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