Marc-André Charron, codirecteur de la compagnie Satellite Théâtre, à Moncton, est reconnu pour ses efforts visant à offrir la diversité au public et à lutter contre l’exclusion. Il essaie notamment d’impliquer des artistes et des metteurs en scène issus de l’immigration dans sa programmation : «Un défi au quotidien», admet-il.
Il se réjouit de la nomination de Karine Ricard à la direction artistique du Théâtre français de Toronto (TfT), première femme noire à la tête d’un théâtre de la francophonie canadienne. Marc-André Charron salue d’ailleurs le «travail phénoménal du TfT avec les artistes de la diversité» francophone depuis quelques années.
«C’est une métropole avec un important bassin d’artistes [issus de la diversité], notamment afro-antillais. Les petites communautés canadiennes, de l’Atlantique au Pacifique, n’ont pas forcément vécu ces vagues d’immigration historiques et ne bénéficient donc pas de cette population», souligne le codirecteur.
Celui qui s’identifie comme un «Acadien d’adoption» raconte avoir déjà demandé à des membres d’organismes qui travaillent avec les immigrants où étaient «les artistes de théâtre qui ne sont pas des Blancs catholiques acadiens?» En guise de réponse, on se contenta de lui demander pourquoi il s’intéressait à ça.

Marc-André Charron a décidé de faire de la diversité son cheval de bataille parce que s’il y a bien «une chose qui m’emmerde», c’est de ne faire de la création qu’avec des gens à son image. «J’ai grandi à Montréal, j’ai étudié en Europe ; la diversité est partout, sa richesse est inestimable pour la communauté francophone», déclare-t-il, passionné.
Persuadé que le milieu artistique dans lequel il évolue est de bonne foi, il évoque certaines similarités qui ont contribué à une certaine prise de conscience dans sa communauté :
En Acadie, la communauté francophone blanche se voit comme une minorité, alors c’est une minorité qui en cache une autre.
Un message parfois difficile à faire passer, mais qui selon lui trouve depuis peu un écho.
La santé du théâtre francophone passe par la diversité
À l’Association des théâtres francophones du Canada (ATFC), qui représente 17 compagnies de théâtre francophones à travers le pays, on envisage une petite révolution en matière de diversité dans les années à venir.
La directrice de l’association, Lindsay Tremblay, est arrivée en poste en mai 2020. L’un des projets qui l’enthousiasment est un partenariat entre l’ATFC et Diversité artistique Montréal (DAM), un organisme qui fait la promotion de l’inclusion et de l’équité culturelle.
«Nous sommes très fiers de pouvoir participer à la mise en place d’un projet de consultation [avec DAM] sur la diversité, qui va concerner notre organisation, mais aussi tous nos membres sur le territoire qui ont adhéré d’une seule voix à ce projet», se réjouit la directrice.

Le projet ne date pas d’hier, mais voit finalement le jour après quelques incertitudes dues à la pandémie. DAM aura 18 mois pour émettre un diagnostic sur chaque compagnie de théâtre et faire des propositions d’actions concrètes afin qu’elles puissent briser les barrières raciales.
Lindsay Tremblay insiste sur l’expertise de DAM et sa capacité à prendre en considération les compagnies de théâtre comme un ensemble : «Il n’y a pas que les artistes, il y a les bénévoles, les membres du conseil d’administration, les techniciens, le personnel administratif et aussi l’environnement extérieur, le public, etc.», explique-t-elle.
À savoir si la question du racisme systémique en milieu artistique pourrait être à la racine de ces remises en question, la directrice hésite : «Peut-être. Dans mon cœur, j’espère que non! S’il y en a, c’est sûr que c’est inconscient et c’est pour ça que nos compagnies sont prêtes à recevoir ce diagnostic, car tous nos membres sont prêts à changer ça. Ce n’est pas de la mauvaise foi, mais certainement plus de la maladresse inconsciente», évoque-t-elle.
La directrice de l’ATFC se dit consciente que les résultats de cette consultation pourraient, à terme, bousculer les organismes eux-mêmes. Elle rend toutefois hommage à tous les membres qui ont le désir d’inclure la diversité ethnique et culturelle dans leur théâtre :
C’est dans les actes que l’on fait ou dans les mots que l’on dit ou pas. On se pose des questions difficiles, et les réponses peuvent l’être aussi.
«Le théâtre doit être, aujourd’hui, le miroir de la communauté multiculturelle dans laquelle on vit», conclut-elle.
Une diversité étudiante qui ne court pas les planches
Marc-André Charron, dont la compagnie est membre de l’ATFC, est réaliste face au travail qu’il reste à faire dans le milieu théâtral.
«À Moncton, nous avons mis en place un projet afin de réunir sous un même toit les talents de la diversité qui sont à la périphérie du théâtre. On leur offre un parcours pédagogique, un espace d’expression, des outils et des méthodes de travail pour peut-être un jour les accueillir sur scène», espère-t-il.
Il s’agit pour Marc-André Charron d’une façon de pallier le manque d’effectifs issus de la diversité, même si la question du financement est aussi importante en la matière :
«Pour avoir des artistes, il faut aussi arrêter de sous-financer les programmes des départements d’arts dramatiques dans les universités francophones en milieu minoritaire, que ce soit à Moncton ou dans les autres provinces», implore-t-il.
Difficile en effet d’espérer recruter de jeunes talents issus de l’immigration si les universités n’ont pas les moyens d’aller les chercher dans «des chemins encore inconnus», notamment à l’étranger, et les garder.
Et pourtant, lorsque le codirecteur de Satellite Théâtre évoque ses voyages sur le continent africain, il aime se rappeler l’enthousiasme des jeunes artistes désireux de profiter d’échanges pédagogiques et culturels avec l’Acadie.
Des rôles qui manquent de couleurs
L’importance de la formation universitaire résonne particulièrement dans le cœur de David Bélizaire, jeune comédien d’origine haïtienne et diplômé en théâtre de l’Université d’Ottawa.
«J’ai commencé le théâtre à l’âge de 12 ans. Au secondaire, comme à l’université dans le département francophone, j’étais très souvent la seule personne de couleur. Même quand je faisais de l’improvisation d’ailleurs!» évoque David Bélizaire, qui a notamment participé aux Auditions de la diversité avec DAM,

Il est clair pour lui que la diversité, sur scène comme à l’écran, évolue timidement. «On va chercher ce que l’on connait, puis on écrit sur ce que l’on connait», avance-t-il.
Avec une certaine retenue, il fait remarquer qu’un grand nombre de productions et de projets sont mis sur pied par des «Blancs caucasiens parlant d’une réalité blanche caucasienne».
Un contexte qui peut selon lui biaiser le choix des producteurs. Le jeune comédien regrette que le milieu soit aussi timoré lorsqu’il s’agit d’offrir un rôle à un acteur de couleur.
Il dénonce aussi ces rôles ethniques «pitchés» là, sans réel lien avec l’histoire. Des rôles qu’il n’a pas souvent eu l’occasion de jouer, et «heureusement», s’exclame-t-il.
À l’inverse, David Bélizaire est très fier d’avoir pu interpréter rôle d’un jeune homme noir essayant de faire comprendre à sa blonde les petites agressions racistes qu’il subit au quotidien dans Déconfidences, un texte du projet Les Zutopies solitaires du TfT.
La pièce se passe durant le confinement, au moment de l’assassinat de Georges Floyd.
Je me suis reconnu dans le texte, même si lui avait vécu des moments intenses que je n’ai pas connus. Mais c’était “rough” comme rôle, ça allait chercher des affaires…
Cette réalité noire haïtienne, il la connait à sa manière, s’excusant presque d’avoir grandi dans un environnement blanc et préservé.
Même s’il se considère comme clair de peau, David Bélizaire sait qu’il pourrait avoir l’opportunité de jouer un rôle qui ne corresponde pas forcément à son ethnicité ou à ses origines, mais il ajoute un bémol : «J’aurais surement du mal à accepter un rôle dont l’ethnicité et la culture représentent une notion essentielle dans l’histoire. Je préférais laisser le rôle à la personne appropriée.»
Il est d’ailleurs persuadé que «si on allait chercher des personnes issues de la diversité pour écrire des textes contemporains, la sélection des artistes serait sans doute plus ouverte et mieux représentative de ce qui se retrouve dans les rues».