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le Lundi 1 février 2021 10:32 Arts et culture

Cinquante ans plus tard, Moé, j’viens du Nord, ‘stie résonne encore

André Paiement, Gaston Tremblay et Denis Courville alias Roger, Marc et Raymond dans la pièce Moé, j’viens du Nord, ‘stie. L’une des rares photos du spectacle. — Doug Kinsey, fournie par Gaston Tremblay
André Paiement, Gaston Tremblay et Denis Courville alias Roger, Marc et Raymond dans la pièce Moé, j’viens du Nord, ‘stie. L’une des rares photos du spectacle.
Doug Kinsey, fournie par Gaston Tremblay
FRANCOPRESSE – ll y a 50 ans, la Troupe de théâtre de l’Université Laurentienne de Sudbury créait l’œuvre collective Moé, j’viens du Nord, ‘stie. Ce texte qui résonne encore aujourd’hui en Ontario français a non seulement mené à la création du Théâtre du Nouvel-Ontario, il a aussi marqué l’affirmation de la culture francophone nord-ontarienne.
Cinquante ans plus tard, Moé, j’viens du Nord, ‘stie résonne encore
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En pleine contreculture

Automne 1970, un groupe d’amis passionnés de théâtre quitte Sudbury en direction de Toronto pour voir la comédie musicale Hair et le film 2001, A Space Odyssey. Ils sont impressionnés par l’exubérance de l’une et par les effets visuels de l’autre ; ils en reviennent inspirés.

Quelques mois plus tard, le 1er février 1971 — il y a donc 50 ans — la Troupe universitaire de la Laurentienne dont ils font partie présente ce qui deviendra une matrice pour le théâtre franco-ontarien contemporain : Moé, j’viens du Nord, ‘stie. Le spectacle, audacieux pour l’époque, galvanise la jeunesse francophone du Nord, mais provoque des remous chez les autorités religieuses et scolaires.

En tout cas, je m’appelle Roger. Mes chums, y m’appellent Rog. J’ai 18 ans pis j’suis né icitte à Sudbury, en plein Nord-Ontarien… Ha, ha! It’s great to be a Northerner.

— Extrait de Moé, j’viens du Nord, ‘stie

Cri d’une génération 

En 1986, le critique littéraire Paul Gay résume la courte pièce comme suit : «Roger, le héros lamentable […] parle un joual franco-ontarien, plus anglicisé que le joual québécois, mais avec la même profusion de sacres crus et pénibles. […] Que va faire Roger? Étudier? Non! Il déteste le High School […] mais rêve d’aller à l’Université où, selon lui, on secoue toute servitude. Que va faire Roger? Rien, sauf un enfant à la jeune fille qu’il fréquente, Nicole.»

L’un des créateurs de la pièce, Gaston Tremblay, décrit plutôt ce personnage comme un élève de 13e année un peu cabotin qui se demande s’il doit travailler dans les mines ou poursuivre des études universitaires, comme il le souhaite.

Doug Kinsey, fournie par le Théâtre du Nouvel-Ontario

Qu’importe la version du résumé, le récit se veut réaliste, tant par le vécu des personnages (inspiré par la vie personnelle des comédiens, qui développent chacun leur texte) que par le langage qu’ils utilisent.

La représentation de cette réalité, rarement vue sur scène, heurte les autorités religieuses et scolaires et enflamme le public, surtout des jeunes adultes.

La pièce Moé j’viens du Nord, ‘stie est présentée les 1er et 2 février 1971 à Sudbury, dans le tout nouvel amphithéâtre de l’Université Laurentienne. La troupe part par la suite en tournée nord-ontarienne à Timmins, Kapuskasing, Hearst et North Bay.

Gaston Tremblay se souvient très bien de cette tournée où se sont enchainées les salles combles et la censure du clergé, qui avait entrainé la fermeture de toutes les salles paroissiales de Kapuskasing à la troupe. Il incarnait Marc, le pusher de Roger.

Fumer du pot, boire d’la booze, faire l’amour la fin de semaine : «C’était les sujets de l’heure», soutient celui qui avait alors 21 ans.

C’est la première fois qu’on disait, je pense, “c’est bien d’être bilingue, c’est bien d’être Franco-Ontarien, c’est bien de parler comme ça et d’avoir ces problèmes-là.”

— Gaston Tremblay, co-créateur de la pièce Moé j’viens du Nord, ‘stie
Annik MH de Carufel, reproduite avec l’autorisation de Gaston Tremblay

Par son «parler local», celui que l’autrice Hélène Koscielniak a baptisé le tarois en 2016, Moé, j’viens du Nord, ‘stie s’inscrit dans la foulée de la pièce Les Belles-Sœurs (Michel Tremblay, 1968), du spectacle L’Osstidcho (Robert Charlebois, 1968) et des monologues de La Sagouine (Antonine Maillet, 1971).

«On est arrivés là et on a dit : “on est ce qu’on est. Arrêtez de [nous] dire d’être autre chose”», plaide Gaston Tremblay.

Le metteur en scène et professeur de théâtre à l’Université d’Ottawa Joël Beddows y voit «une espèce de polaroid douloureux : voici qui nous sommes.»

Il perçoit la pièce comme le cri d’existence d’une génération «qui voulait, à même le travail de création, faire la promotion d’une identité jeune, tournée vers la laïcité, la modernité, la justice sociale, qui voulait mettre au monde un Ontario français.»

Une pièce devenue slogan

«Il faut parler du titre», poursuit Joël Beddows, comme d’un slogan qui résonne encore, 50 ans plus tard.

«C’est assez drôle de constater à quel point des jeunes Franco-Ontariens qui ne connaissent pas l’œuvre connaissent l’expression», aussi portée par la chanson Moi j’viens du Nord que Robert Paquette a écrite pour le spectacle.

Si on souligne les 50 ans de la pièce de théâtre Moé, j’viens du Nord, ‘stie, il faut aussi mentionner l’anniversaire de cette chanson hop-la-vie qui tourne encore à la radio à l’occasion et qui passe l’épreuve des générations. Moi j’viens du Nord, signée Robert Paquette, s’inscrit parmi les premières chansons contemporaines de l’Ontario français, et ce, malgré son violon folklorisant.

C’est d’ailleurs à peu près tout ce qu’il reste de l’œuvre proprement dite aujourd’hui : un titre, un texte, des chansons, quelques photos et la mémoire de ceux qui l’ont vue et vécue.

Aux yeux de Joël Beddows, toute la dimension scénique — les décors, les éclairages, la mise en scène, la musique — nous échappe. Mais l’audace et l’énergie des créateurs du spectacle a eu une incidence encore plus grande qui se mesure encore aujourd’hui. Ce n’est pas ce qu’on raconte qui va passer à l’histoire ; c’est l’idée de happening qui vient avec.

Maude Chauvin, fournie par Joël Beddows

Joël Beddows présente la pièce comme une matrice pour celles que proposera ensuite le collectif, avec à sa tête André Paiement, et qui mènera à la création du Théâtre du Nouvel-Ontario (TNO), aujourd’hui une institution de l’Ontario français.

N’empêche qu’à l’époque, «[la pièce] met en valeur une communauté qui était sous-représentée, marginalisée et qui ne se voyait jamais sur la scène», souligne la comédienne et metteure en scène sudburoise Miriam Cusson.

«La pièce est devenue au fil du temps un point d’ancrage de l’histoire de la communauté franco-ontarienne, ajoute-t-elle. On peut facilement constater des progrès notoires depuis 50 ans», ajoute celle qui enseigne aujourd’hui le théâtre à l’Université Laurentienne.

Elle cite entre autres l’apparition de compagnies de théâtre francophones professionnelles dans la province, la vitalité culturelle de façon générale et, symbole «d’une criante actualité», la création de la Place des Arts du Grand Sudbury, actuellement en construction au centre-ville de Sudbury.

Mirth Photography, fournie par Miriam Cusson

Quoi si, moé ‘si

Si le spectacle Moé j’viens du Nord, ‘stie était à nouveau présenté en 2021, les Franco-Ontariens se retrouveraient-ils dans les personnages? Celui du finissant désabusé qui rêve d’aller à l’université? De la jeune femme enceinte qui doit choisir entre se marier ou fuir? Ou du pusher qui achète une voiture pour séduire les filles?

La question se pose pour Gaston Tremblay : «C’est quoi être Franco-Ontarien [aujourd’hui] dans un monde bilingue, dans un monde planétaire?»

On pourrait avoir la réponse en avril par la voix d’un groupe d’étudiants en théâtre de la même Laurentienne, où a œuvré la troupe instigatrice il y a 50 ans. Miriam Cusson travaille à la création de Quoi si, moé ‘si j’viens du nord ‘stie, un spectacle qui prend le relai de la pièce fondatrice du TNO.

Archives Le Voyageur

Gaston Tremblay a hâte de voir ce que ce groupe «beaucoup plus hétérogène» va pondre, puisqu’il s’agit d’une nouvelle création collective. «Ça devient un tout autre monde», dit-il.

Reste que «la parole collective de jeunes artistes, avec son témoignage engagé, vulnérable et viscéral, dans une société en pleine transformation, est toujours aussi urgente, essentielle, pertinente», croit Miriam Cusson.

En 2021, les jeunes artistes cherchent encore à prendre leur place et à prendre la parole. Ils veulent bâtir une société ouverte et inclusive. «Surtout, ils veulent se reconnaitre sur scène, constate-t-elle. C’est entièrement d’actualité.»

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