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le Mercredi 24 février 2021 16:08 Actualité

La vision acadienne du monde au Niou-Brunswick?

Au Canada, les francophones ont un rapport quasi schizophrénique avec les deux langues officielles. — Wikimedia Commons
Au Canada, les francophones ont un rapport quasi schizophrénique avec les deux langues officielles.
Wikimedia Commons
ACADIE NOUVELLE (Nouveau-Brunswick) – Au Canada, les francophones ont un rapport quasi schizophrénique avec les deux langues officielles. On connait tous l’exemple de ce groupe de francophones qui se mettent à parler en anglais dès que se pointe un unilingue anglophone. Certains opineront que c’est un signe de politesse. Les esclaves aussi étaient polis. Ils avaient intérêt à l’être!
La vision acadienne du monde au Niou-Brunswick?
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Au Niou-Brunswick, la plupart des tinamis anglophones unilingues vivent en anglais sans avoir à se poser de questions sur le fait anglais.

Ils parlent en anglais, étudient en anglais, écoutent des chansons anglaises, des films en anglais, lisent des livres, des menus, des publicités, des affiches, des panneaux routiers en anglais. Ils travaillent en anglais. Ils transigent avec les gouvernements, les compagnies, les commerçants en anglais, ils se font soigner en anglais, ils tombent en amour en anglais, se marient en anglais, font des enfants anglophones en anglais. Dans un groupe de francophones, ils parlent anglais. Je l’ai dit : ils vivent en anglais.

Parallèlement, les francophones essaient de faire la même chose, dans une langue différente. Mais, plus souvent qu’autrement, leur réalité ordinaire — c’est-à-dire : le fait français — est mise à mal. Parce qu’au lieu de vivre tout simplement en français comme leurs tinamis anglophones vivent tout simplement en anglais, les francophones doivent batailler pour s’actualiser dans leur langue.

Et puis, à un certain moment, on se met à vivre en anglais, et même à se parler en anglais entre francophones, souvent sans trop s’en apercevoir ; ça va plus vite et la vie est si courte.

— Rino Morin Rossignol, chroniqueur à l'Acadie Nouvelle

Entretemps, on aura lu et entendu que le gouvernement est pogné pour procéder à une révision de la Loi sur les langues officielles, cette loi qui est, apparemment, en place pour éviter que ne se produise à peu près tout ce je viens de décrire plus haut.

Et pour s’acquitter de cette révision, quoi de mieux qu’un duo de commissaires qui recueilleront à huis clos les doléances et aspirations des uns et des autres eut égard au dossier de cette mautadine de Loi sur les langues officielles, appelée de plus en plus souvent LLO, petit amalgame de lettres permettant de faire semblant de s’intéresser à une chose tout en évitant de la nommer. Un peu comme l’alphabet LGBTQ.

Et puis, LLO, ça se dit plus vite, ce qui permet de passer à un autre sujet plus rapidement! Pas beau, ça?

Je mettrais ma main au feu — la mienne ou, de préférence, celle d’un bénévole — que la version française du futur rapport des deux commissaires en question sera une traduction de la version anglaise du rapport.

Car il est évident que plus ça va, au Niou-Brunswick, plus les gouvernements perçoivent le français comme une traduction de l’anglais, et non comme une langue à part entière, avec son historicité, ses codes, ses valeurs, sa vision du monde, son génie quoi!

Il faut dire que ce désintérêt des gouvernements successifs envers le fait français épouse le rythme du désintérêt grandissant de trop de francophones envers leur propre langue, surtout dans les régions où il est plus populaire de trouver des excuses pour justifier l’assimilation en marche que de chercher des solutions à ce problème grave.

Évidemment, il n’est pas question d’accuser ces locuteurs de quelque faute que ce soit. Il s’agit d’un fait sociologique qui n’a rien à voir avec l’intégrité des locuteurs en cause, mais tout à voir avec notre abandon général devant cette impitoyable situation.

Consultez le site du journal Acadie Nouvelle

J’ai lu dans ce journal que l’Opposition officielle, à Fredericton, s’inquièterait beaucoup que l’identité des commissaires et les détails de leur mandat ne soient pas encore connus.

Bizarre, cette inquiétude soudaine des libéraux pour la langue. Ça ne s’est pas produit depuis le temps de Robichaud! Évidemment, dans l’opposition, on a le temps de développer des inquiétudes, on peut comprendre ça ; mais comment se fait-il que dès qu’ils retournent au pouvoir, les libéraux non seulement perdent subitement leurs inquiétudes, mais évitent soigneusement d’agir dans le dossier linguistique?

Ö mystère de la politique partisane!

Quoi qu’il en soit, on connait déjà le scénario de cette révision. Les francophones diront que la loi ne va pas assez loin, qu’elle manque de mordant, qu’elle n’est pas assez structurante ou efficiente (ou autres mots à la mode), et leurs tinamis anglophones diront qu’elle va trop loin, qu’elle en met trop, qu’elle déstabilise leur communauté. Certains diront même que la loi déshabille Peter pour habiller Pierre et que ces friperies griffées coutent cher.

De son côté, le bon peuple d’origine française est appelé à regarder le train de la révision passer, comme des bovinés à gros yeux sans malice, ruminant le passé, oubliant que le passé devrait justement projeter une lueur sur l’avenir. Mais quel avenir? Y a-t-il même un avenir du fait français au Niou-Brunswick?

La question peut sembler crue, mais est-elle erronée pour autant?

La langue façonne la nation. Une langue faible affaiblit la nation. Une langue forte renforce la nation.

— Rino Morin Rossignol, chroniqueur à l'Acadie Nouvelle

La francophonie de l’Acadie, que ce soit celle de la Brayonnie ou celle de Chipoudie, ne peut plus se contenter d’une Loi sur les langues officielles qui ne tient pas compte explicitement de sa réalité, de sa situation démographique et géographique, des particularités de son histoire et de son développement.

Par exemple, le concept de dualité doit être élargi et renchaussé, et non pas manipulé pour en faire une coquille vide, afin que cette loi reflète non pas seulement la vision anglaise, traduite en français, du vivre-ensemble niou-brunswickois, mais également la vision française de ce bien commun.

Il faut aussi relancer sur la place publique le concept d’institutions distinctes maintenant inscrit en toutes lettres dans la dernière révision de ladite loi. (Exemple : Bibliothèque nationale de l’Acadie…)

On a du pain sur la planche!

Pour le philosophe et linguiste Humboldt, qui vivait il y a très longtemps dans un pays très lointain, «il y a dans chaque langue une vision du monde particulière». Comment se manifeste la vision acadienne du monde dans la Loi sur les langues officielles du Niou-Brunswick?

Han, Madame?

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