La soixantaine de propositions incluses dans ce document sont accueillies avec enthousiasme au sein de la francophonie canadienne, et ce, avec raison : approximativement 80 % des demandes effectuées par la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) du Canada dans le dossier de la modernisation de la Loi sur les langues officielles ont été retenues.
Les efforts déployés par les organismes communautaires francophones pour faire valoir leurs propositions ont ainsi porté leurs fruits et ont trouvé une oreille attentive chez la ministre Joly.
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Les propositions mises de l’avant vont de l’octroi de pouvoirs accrus au commissaire aux langues officielles au bilinguisme des juges à la Cour suprême, en passant par une plus grande promotion du français à l’international.
Le gouvernement fédéral reconnait aussi l’importance pour les communautés de disposer de leurs propres institutions dans des secteurs comme l’éducation, la santé, la culture, la justice et l’immigration. Il s’engage par conséquent, en partenariat avec les gouvernements provinciaux et territoriaux, à protéger et appuyer les institutions clés à la vitalité des communautés.
Cette dernière proposition, associée à celle de renforcer le continuum en éducation de la petite enfance au postsecondaire, a un écho particulier dans un contexte où plusieurs institutions francophones traversent une période financière difficile.
Maintenir le poids démographique des francophones
Le document ouvre aussi la voie à une nouvelle approche plus ambitieuse dans le domaine de l’immigration. Il mentionne notamment l’importance de «maintenir le poids démographique des francophones hors Québec afin que ceux-ci représentent 4,4 % de la population du pays».
Or, entre les recensements de 2001 et de 2016 de Statistique Canada, le poids démographique des francophones hors Québec est passé de 4,4 % à 3,8 %.
Reste à voir les stratégies qui seront mises en place, car le gouvernement fédéral n’a encore jamais atteint la cible annuelle de 4,4 % en immigration francophone qu’il s’est fixée en 2003. Une telle approche de rattrapage nécessiterait une cible annuelle beaucoup plus ambitieuse. Plus de détails devront être fournis pour que ces engagements en immigration soient pris au sérieux.
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Un pas vers l’avant, mais plusieurs autres restent à faire
Le dépôt de cet énoncé d’intention est un pas important vers une plus grande égalité réelle du français et de l’anglais, mais le chemin à parcourir est encore long avant de voir ces propositions se concrétiser.
Plutôt que d’opter pour le dépôt d’un projet de loi, qui aurait permis d’entreprendre le travail législatif dès maintenant, la ministre a préféré soumettre à la Chambre des communes un document de travail. Celui-ci sera examiné par un comité d’experts qui disposera de soixante jours pour mener à bien ses travaux et déposer un rapport qui sera par la suite pris en considération dans la rédaction du projet de loi.
Bref, nous sommes encore loin d’un projet de loi bien ficelé, près de trois ans après l’engagement initial du premier ministre Justin Trudeau de procéder à une modernisation de la Loi.
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Or, pour le moment, un flou persiste quant aux échéanciers. La ministre Joly parle d’un dépôt avant la fin de l’année 2021 et non d’une loi adoptée. Il y a peu de temps, les organismes francophones et les partis d’opposition maintenaient la pression sur la ministre pour le dépôt d’un projet de loi avant la fin de l’année 2020.
Il se pourrait fort bien qu’avant de mener à l’adoption d’une Loi modernisée, ce document de travail serve de base à la plateforme électorale libérale en matière de langues officielles lors de la prochaine élection générale.
Dans les prochains mois, l’un des défis du gouvernement sera de gérer les attentes du Québec. Le gouvernement fédéral reconnait désormais le statut particulier de la langue française en Amérique du Nord et le besoin de mesures additionnelles pour la protéger, y compris au Québec.
Les visées du gouvernement fédéral pourraient fort bien se frapper à celles du gouvernement québécois, qui entreprend une réforme de la loi 101.
Déjà, le Bloc québécois critique le plan de la ministre Joly, arguant que c’est plutôt la loi 101 qui devrait s’appliquer en matière de langue de travail pour les entreprises fédérales situées au Québec.
L’héritage politique de la ministre Joly
Depuis vendredi, la ministre Joly défend avec conviction cette réforme, notamment lors d’un passage remarqué à l’émission Tout le monde en parle. Les enjeux sont grands pour la ministre, puisque cette réforme risque fort bien de teinter son héritage politique.
Si elle réussit à mener à bien cette réforme ambitieuse, sans édulcorer les orientations et les propositions mises de l’avant au passage, il s’agira d’une contribution majeure aux langues officielles, en particulier à la protection du français et à la vitalité des communautés francophones en situation minoritaire.
Nous pourrons alors faire couler le champagne pour célébrer, mais d’ici là, le travail se poursuit.