«Malheureusement, la réponse “non” n’a pas fait l’unanimité», regrette Jessica Dupuis, coordinatrice nationale en gestion de projets pour la FAAFC.
L’organisme national et six associations provinciales ont depuis lancé un Comité d’action sur la sensibilisation à cette discrimination le 1er octobre, à l’occasion de la Journée internationale des personnes âgées.
L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) définit l’âgisme comme l’ensemble des stéréotypes, des préjugés et des discriminations à l’égard de personnes en raison de leur âge. «Il peut être institutionnel, interpersonnel ou dirigé contre l’individu lui-même», précise-t-elle dans son rapport mondial sur l’âgisme.
L’âgisme dans le milieu des soins
Bien qu’ils ne soient pas les seuls concernés, les ainés sont les plus touchés. Il s’agirait de la troisième forme de discrimination la plus répertoriée dans le monde, après le racisme et le sexisme. Cela d’après Martine Lagacé, chercheuse à l’Université d’Ottawa spécialisée sur la question de l’âgisme.

Selon Jessica Dupuis, la pandémie a mis en lumière de façon dramatique cette discrimination profondément ancrée dans la société. En témoignent les scandales dans les établissements de soins de longue durée qui ont résonné dans l’actualité covid en 2020.
«Le manque de personnel dans les résidences a entrainé des comportements qui ont été qualifiés de géronticides. Des gens sont morts de déshydratation. D’autres ont développé des infections, car leur culotte d’aisance n’était pas changée adéquatement. Beaucoup de violences physiques et psychologiques ont aussi eu lieu», rappelle-t-elle.

«Pour être dans le milieu de la santé depuis une dizaine d’années, ce n’est pas nouveau. Ce sont des défaillances que nous dénonçons de façon méthodique, mais il n’y a jamais rien qui bouge. La population entière a vu ce qu’il se passait depuis vraiment longtemps.»
Une discrimination accentuée par la pandémie
La spécialiste va plus loin en qualifiant «d’âgiste» l’isolement social imposé par le confinement. «On empêchait les ainés de sortir de chez eux, d’aller à l’épicerie, à la pharmacie, de vaquer à leurs occupations. Parfois, ils n’avaient plus le droit de se promener. On leur refusait l’accès à des endroits publics. Ça a été une forme d’âgisme aberrante, car on leur enlevait leurs droits», s’insurge-t-elle.
«L’usage du terme “nos ainés” dans les campagnes de sensibilisation par les pouvoirs publics est la chose qui m’a le plus marquée, en plus des scandales et des atrocités dans les centres d’hébergement. Comme si ces gens-là nous appartenaient et qu’il fallait absolument les protéger de leur propre vulnérabilité parce qu’ils sont âgés», ajoute-t-elle.
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Un monde du travail encore hostile
Peu efficaces, réticents à l’apprentissage, réfractaires à utiliser les technologies, plus souvent malades, grincheux, bornés… Les clichés sur les plus de 50 ans ne manquent pas dans le monde du travail.
L’âgisme s’y manifeste de façon banalisée à travers les départs forcés à la retraite, le refus d’accès à des formations, ou encore des propos «blagueurs» de la part des collègues.
Or, le départ massif à la retraite de la génération des babyboomeurs, combiné à la pénurie de main-d’œuvre, va poser des problèmes d’expertise sur le terrain. Surtout pour les entreprises qui négligent la transmission du savoir entre les générations, signale Jessica Dupuis.
On ne facilite pas la transmission, car on balaye trop rapidement les ainés dans le monde du travail.
Pourtant, elle en est convaincue, loin d’être des fardeaux, les ainés peuvent apporter une force aux entreprises. «C’est une stratégie hyper gagnante pour l’entreprise, mais humainement aussi. L’intergénérationnel devrait être davantage valorisé», conseille-t-elle.
Alors, pourquoi ne pas imposer des quotas d’âge dans les entreprises?
Jessica Dupuis s’interroge, mais reste sceptique face à cette idée. La persuasion reste préférable à la force. C’est pourquoi le Comité d’action sur la sensibilisation à l’âgisme compte organiser des formations à destination des entreprises.
Il travaille aussi à la réalisation d’un guide d’intégration antiâgisme inclusif à destination des employés et des bénévoles. «Faire des équipes multigénérationnelles, avoir un protocole “d’hygiène du langage”. Tout cela aura énormément d’impact», assure-t-elle.
Le dangereux culte de la jeunesse éternelle
Les conséquences de l’âgisme peuvent se révéler dramatiques. Dépression, anxiété, isolement, voire suicide… «L’âgisme est destructeur à la longue», avertit Jessica Dupuis, qui prépare actuellement une maitrise en sciences du vieillissement.
Comment expliquer la prégnance de cette discrimination? «Notre société glorifie la jeunesse, tout en occultant le vieillissement», observe la coordonnatrice, qui pointe du doigt la publicité et les médias qui véhiculent des préjugés, tout en alimentant un culte «malsain» de la jeunesse éternelle.
On alimente aussi un vieillissement très polarisé. Avec d’un côté, les vieillards qui courent des marathons, et de l’autre, ceux qui sont très malades et hébergés en centre de soins de longue durée.
Changer de regard
D’ici 2030, 25 % de la population aura plus de 65 ans. À mesure que la population vieillit, le risque est de voir s’accentuer le fossé entre la réalité démographique, et l’idéal de jeunesse éternelle.
D’où l’importance de changer les représentations de la vieillesse, notamment dans les médias et au cinéma.
«Il y a encore quelques années, on voyait très peu d’ainés dans les productions cinématographiques, c’était quelque chose de très stéréotypé. Les ainés sont pourtant des gens actifs, impliqués, engagés dans leurs communautés, et encore ultrapassionnés. Ils sont une grande richesse de savoir et d’expertise», observe-t-elle.
Le chemin semble encore long. «C’est extrêmement néfaste que la société dans laquelle nous vivons ne promeuve pas le vieillissement positif ou le vieillissement tout court. On ne parle même pas de la mort. Elle est encore complètement taboue, comme la sexualité des ainés. Nous avons encore un énorme travail de sensibilisation à faire au niveau de la population et des gouvernements», note Jessica Dupuis.

Néanmoins, elle observe qu’une dynamique positive se dessine.
«Avec tous les changements qu’on voit en ce moment avec le racisme, les communautés autochtones, les LGBTQI+, je crois qu’il y a une vision positive pour l’âgisme. En revanche, je crois que ça sera plus long. Personne n’est sorti dans les rues pendant la pandémie pour dénoncer le géronticide qui se passait dans de nombreuses résidences.»
«Mais je pense qu’il faut saisir l’opportunité de la pandémie comme levier de sensibilisation et d’éveil collectif», ajoute-t-elle.

Un Comité d’action francophone contre l’âgisme
Dénoncer ces représentations stéréotypées dans la publicité sera l’une des missions du Comité d’action sur la sensibilisation à l’âgisme.
Cet organisme indépendant, officiellement inauguré le 1er octobre, a été fondé en mars 2021. Se réunissant tous les mois, il se compose de sept associations de défense des intérêts des ainés : une nationale et six provinciales. Pour l’Ontario, la Fédération des ainés et des retraités francophones de l’Ontario (FARFO) siège au Comité.
Face à ce qu’il considère comme une urgence, le comité se donne comme mission de proposer rapidement des solutions à court terme pour lutter contre le «fléau» de l’âgisme.
«Nous voulons mobiliser les ainés francophones pour faire entendre leur voix. C’est un comité pour et par les ainés. L’objectif est de promouvoir des solutions alternatives et des stratégies pour lutter contre l’âgisme», explique Jessica Dupuis, à la tête du comité dont elle a eu l’idée.
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Que faire si vous êtes victime d’âgisme ou pensez l’être? En cas de situation préjudiciable, il est possible d’agir en justice sur la base du droit existant. Par exemple, il est interdit de forcer une personne à prendre sa retraite, ou de lui refuser un logement en raison de son âge.
Il ne faut pas hésiter à contacter la police et les secours en cas de maltraitance et de sévices. D’autre part, des centres d’écoute gratuits existent aussi, comme la ligne Aide Abus Aînés, pour orienter les victimes vers les ressources nécessaires.
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