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le Jeudi 18 novembre 2021 13:34 Société

Un village pour guérir

L’Ainée Billie Schibler, de Clan Mothers Healing Village, et Daniel Lussier, de Réseau Compassion Network. Les deux organismes sont partenaires dans un projet d’un village de guérison pour femmes. — Marta Guerrero
L’Ainée Billie Schibler, de Clan Mothers Healing Village, et Daniel Lussier, de Réseau Compassion Network. Les deux organismes sont partenaires dans un projet d’un village de guérison pour femmes.
Marta Guerrero
IJL LA LIBERTÉ (Manitoba) – Deux organismes de Winnipeg collaborent afin de développer un village de guérison destiné en priorité aux femmes autochtones. Le Réseau Compassion Network a transféré, à l’automne 2021, l’un de ses terrains à l’organisme Clan Mothers Healing Village en vue de réaliser ce projet. Les deux organismes travaillent en partenariat depuis sept ans pour avancer dans la réconciliation, avec chacun la volonté d’agir chevillée au corps.
Un village pour guérir
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L’organisme Clan Mothers Healing Village souhaite développer un village de guérison rural qui comprendrait des cabines avec une ou deux chambres, des sites extérieurs pour des activités en lien avec la nature, des salles communes pour aller sur le chemin de la guérison, un centre de connaissances et des studios d’art.

Les femmes pourraient vivre sur place ; elles seraient libres de participer à la vie du village comme elles le souhaitent. L’organisme, créé en 2015, a pour mission de répondre aux traumatismes que vivent les femmes et aux manques de services adaptés à leurs besoins.

L’une des cofondatrices, l’Ainée métisse Billie Schibler, explique l’intérêt d’un tel projet : «J’ai travaillé pour les services de protection à l’enfance pendant près de 35 ans. J’ai côtoyé dans le cadre de mon emploi des familles aux prises avec des enjeux de santé mentale, de violence, et de l’exploitation sexuelle… Les services sont tellement limités, surtout ceux qui prennent en compte notre perspective autochtone.»

Une réalité pourtant bien connue maintenant et pourtant difficile à ne pas prendre en compte tant elle découle d’un passé où des générations ont vu leurs droits de la personne les plus élémentaires bafoués.

Déjà en 1991, Maggie Hodgson expliquait, dans son livre Impact of Residential Schools and Other Root Causes of Poor Mental Health, les effets des dynamiques familiales brisées en raison des effets pervers des pensionnats autochtones, dans lesquels étaient placés des enfants arrachés à leurs familles et parmi lesquels on comptait de nombreuses victimes de violence psychologique, spirituelle, physique et sexuelle. 

Billie Schibler se bat pour redonner une place aux femmes qui vivent avec les conséquences des traumatismes intergénérationnels dus aux pensionnats autochtones comme la dépression, la faible estime de soi, les problèmes de dépendance, mais aussi la perte de connaissances et de compétences parentales.

«Dans le cas des femmes autochtones, il y a des années de traumas intergénérationnels dont il faut tenir compte. Elles ont besoin d’une place pour savoir qu’elles valent quelque chose, et qu’elles ont des habiletés qu’elles peuvent développer », indique Billie Shibler.

Les services de prise en charge de ces femmes ne fonctionnent pas. Par exemple, on leur donne un temps bien trop limité pour réaliser des choses qui prennent parfois des années. Comment peut-on demander à des femmes de sortir de la dépendance, de trouver un travail, un toit dans un délai pouvant varier de 28 jours à quatre mois?

— Billie Schibler, Ainée métisse et cofondatrice du projet du village de guérison

L’Ainée Billie Schibler a bien pris conscience de la longue route qui attend ces femmes et son énergie à relever ce défi est contagieuse. «Notre projet est là pour les accompagner dans ce long chemin. C’est un projet avec un impact multigénérationnel. On va apprendre à ces femmes comment être de bonnes mères pour leurs enfants et à être membre d’une famille.»

«Avec un bon modèle, les enfants vont pouvoir le reproduire sur leurs enfants, et, etc. C’est l’une de nos emphases dans ce projet : qu’est-ce qui est bon pour nos générations futures?»

Le terrain 

Réseau Compassion Network a fait don d’un terrain de 130 acres en vue de la réalisation de ce projet structurant pour Clan Mothers Healing Village. Un projet sur lequel Daniel Lussier, directeur général de l’organisme, travaille depuis quatre ans et demi, même s’il connait les fondatrices depuis plus longtemps.

«Ce terrain appartenait aux Sœurs du Bon-Pasteur. Il mesure environ 130 acres et est situé le long du Lac Winnipeg à Belair. On estime à 1 million $ la valeur de ce terrain.»

Courtoisie Clan Mothers Healing Village

Cette somme peut paraitre énorme, mais Daniel Lussier n’avance pas à l’aveugle. «Nous travaillons avec ces femmes depuis sept ans déjà. Au fur et à mesure, il y a une relation de confiance qui s’est développée. Alors il était naturel pour nous de participer à une initiative comme le village de guérison.»

Un projet qui a bien avancé dans les étapes de la mise en œuvre : «Le zonage a été fait il y a 18 mois. C’est super de pouvoir se dire que maintenant, les choses vont aller de l’avant», se réjouit Daniel Lussier.

Billie Schibler est optimiste sur ce qui reste à accomplir. «La construction des bâtiments qui vont constituer le village devrait commencer en juin 2022. Nous sommes en pleine récolte de fonds pour être capables de le réaliser.»

Le montant que cible l’organisme est de 11,5 millions $. 10 millions en dépenses capitales et 1,5 million sur trois ans, en dépenses opérationnelles.

«C’est beaucoup d’argent. Mais c’est un investissement. Quand des femmes peuvent s’intégrer à leur communauté, avec leurs enfants, c’est un énorme retour sur investissement.»

L’inspiration des cofondatrices

Ce projet a fait du chemin pour arriver là où il en est. L’Ainée Billie Schibler revient à la source de l’inspiration de Clan Mothers Healing Village.

«Il faut remonter à une trentaine d’années pour comprendre ce qu’on a essayé de faire. Mae Louise Campbell et sa fille, Jamie Goulet, avaient une place à l’extérieur de Saint-Laurent, au nord de Winnipeg, pour rassembler les femmes. C’était tellement accueillant. On était une famille.

«Moi-même, j’y participais pour aller à la rencontre des Ainées. Des femmes venaient de partout du Canada, elles venaient dans le même but : célébrer le fait d’être femme, d’être en sécurité et de se sentir responsable et forte.»

L’ainée Billie Schibler partage quelques fondamentaux de la culture autochtone. «Ces rencontres étaient vraiment faites pour apprendre nos propres traditions : honorer la Terre mère, grand-mère la Lune.

«C’était magnifique. Mae Louise Campbell avait la vision d’avoir un lieu secret pour célébrer le fait d’être femme.»

Malheureusement, avec l’augmentation des taxes municipales due au développement des résidences secondaires, il n’était plus possible pour l’ainée Mae Louise Campbell d’assumer les couts de sa propriété.

«Avec sa fille, elles sont venues à Winnipeg et ont continué ces rassemblements. Mais ça n’a plus jamais été la même chose. Pourtant, des femmes continuaient de venir, il y avait un vrai besoin.

«Les femmes ont besoin de se sentir soutenues, appuyées et aimées, qu’importe leur histoire passée.»

La vision de Mae Louise Campbell n’a jamais été loin dans la tête de l’Ainée Billie Schibler. «On ne peut pas compter sur le gouvernement pour transmettre notre savoir, notre culture. Dans des cultures autochtones, c’étaient les femmes qui décidaient de qui deviendrait le Chef. Ce sont elles qui faisaient les règles», rappelle-t-elle.

Il y a un proverbe de la nation Cheyenne qui dit : « Une nation n’est pas conquise tant que le cœur de ses femmes n’est pas à terre ». Quand vous avez des communautés qui n’honorent pas leurs femmes, cela donne des hommes qui ne respectent pas les femmes. Les femmes deviennent opprimées et la société souffre. C’est un enchainement.

— Billie Schibler, Ainée métisse et cofondatrice du projet du village de guérison

Grâce à Réseau Compassion Network, ce projet est maintenant réalisable. Daniel Lussier souligne leur rôle d’allié.

«Offrir ce terrain pour un tel projet est un geste que nous, en tant qu’organisme catholique, faisons dans le cadre de la réconciliation. C’est un apprentissage pour nous.

«On ne va pas se limiter à donner un terrain. On va continuer notre rôle d’allié en les appuyant dans des campagnes de financement, en faisant de la sensibilisation auprès du Fédéral. C’est une relation qu’on veut entretenir.»

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