Pandémie ou pas, le français progresse dans les tribunaux albertains. Quelques mois après la nomination de Mary Moreau, la Cour du Banc de la Reine a adopté un nouveau protocole pour assurer que tout accusé soit systématiquement informé de ses droits linguistiques.
Le 22 janvier dernier, la Cour organisait même la toute première assemblée du barreau francophone. Un évènement qui sera renouvelé chaque année, assure la juge en cheffe. Tout au long de sa carrière, Mary Moreau a fait des droits linguistiques son principal cheval de bataille.
Devenue avocate privée en 1980, elle est sollicitée par un homme accusé de trafic de drogue. «Il voulait un procès en français», se rappelle-t-elle.
Mais à l’époque, les dispositions du Code criminel ne le permettaient pas. «C’était inacceptable pour lui». Cette fière francophone se lance alors dans des recherches espérant trouver «une ouverture dans l’Histoire de l’Alberta».
«Vraiment, ça a lancé ma carrière», dit celle qui a cofondé l’Association des Juristes d’expression française de l’Alberta (AJEFA) en 1990. Car oui, cette ouverture existe. Un trou de souris qu’elle compte bien élargir.
Soutenue par un programme de financement du gouvernement fédéral pour faire respecter la Charte canadienne, la procédure est un long chapitre de sa vie qui a payé : depuis cette affaire, les procès en français sont possibles en Alberta.
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Antécédents familiaux
Mary Moreau a grandi à Edmonton au sein d’une fratrie de huit enfants. «Avec la Paroisse Saint-Joachim, c’était une belle petite communauté francophone qui nous entourait», se rappelle la juge évoquant son enfance. Son père, originaire de la Saskatchewan, lui a transmis son ardeur pour la défense du français.
À son décès en 2015, l’Association canadienne-française de l’Alberta (ACFA) dont il a été président (1966-67) soulignait les réalisations de ce «pionnier» : la poursuite des démarches pour l’amendement à l’acte scolaire ainsi que les négociations afin d’obtenir la télévision en français.
En 2009, le Conseil scolaire Centre-Nord nommait d’ailleurs l’une de ses écoles en son honneur : l’École Joseph-Moreau.
Un destin imprévisible
Mary Moreau, quant à elle, était scolarisée à l’école Grandin, une école d’immersion avec un côté francophone, un autre anglophone. «Ce n’était pas des meilleures ambiances, se souvient la juge. Le côté anglophone était beaucoup plus large, il y avait un peu un schisme entre les deux réalités».
À l’époque, la jeune francophone ne se doutait certainement pas qu’elle atténuerait ce fossé quelques décennies plus tard en plaidant la cause Mahé.
En 1990, la Cour suprême du Canada statue que les minorités de langues officielles avaient le droit de gérer elles-mêmes leurs écoles, «un développement constitutionnel très important, surtout dans l’Ouest et dans les parties du pays où il y a eu une assimilation jusqu’à un très grand degré».
Adolescente, Mary ne se doutait pas qu’elle ferait une carrière dans le droit. En sortant du Campus Saint-Jean, elle s’est pourtant inscrite à la faculté de droit de l’Université de l’Alberta.
Je l’ai approché comme un cours qui m’intéresserait beaucoup, mais j’avais des doutes que je fasse ma vie dans le droit.
Et pourtant!
Questionnée sur le quotidien d’une juge en cheffe, Mary Moreau ne peut s’empêcher de rire. «Ça ne ressemble à rien de ce que j’ai vécu avant le mois de mars 2020. J’aimerais bien être à 50 000 pieds au-dessus, mais je suis absolument sur terre. C’est vraiment un job dans un temps qui est plein de défis!»