Le professeur agrégé d’histoire de l’Université Laurentienne, Serge Miville, a d’abord rappelé que, depuis ses débuts, la Laurentienne voit le français comme une langue dans laquelle elle doit donner des services. Elle ne se développe pas en français. Elle rédige en anglais et traduit vers le français. Elle ne rêve pas en français.
Oui, il y a eu de grands évènements qui ont façonné la culture franco-ontarienne et qui sont nés à l’Université Laurentienne. Mais ils ont tous été initiés par des étudiants.
Serge Miville rappelle que la majorité des petites avancées pour les étudiants francophones ont été obtenues après un combat ou une revendication. Que le premier lever du drapeau franco-ontarien a eu lieu à l’Université de Sudbury parce que l’Université Laurentienne avait refusé.
Le professeur titulaire du Département de sociologie, Simon Laflamme a, après plusieurs années d’observation et de réflexion, tranché : une université bilingue n’est pas un bon endroit pour l’éducation en français.

Premièrement, on accorde seulement les programmes de sciences humaines aux francophones. Les sciences de la nature et la technologie sont presque exclusivement enseignées en anglais. De plus, les cours anglais deviennent trop facilement la solution de remplacement pour justifier l’annulation d’un cours ou d’un programme.
En chiffres
Le professeur agrégé du Département de philosophie, Denis Hurtubise, a présenté des chiffres qui tendent à confirmer les observations de MM. Miville et Laflamme.
Depuis 2000, l’Université Laurentienne a créé beaucoup plus de programmes en anglais qu’en français. Résultat : les nombres d’inscriptions d’étudiants francophones ont augmenté de 47 % en 20 ans tandis que les inscriptions en anglais ont augmenté de 69 % dans la même période.

Un de ses graphiques montrait aussi que le recrutement d’étudiants étrangers francophones a seulement commencé à augmenter en 2017 – moment de l’embauche d’un responsable. Du côté anglophone, le recrutement international s’est enclenché autour de 2005.

«Malgré l’absence d’investissement, les programmes en français, on a quand même tiré notre épingle du jeu. Malgré le manque d’attention, ces programmes sont en très bonne santé», soutient M. Hurtubise pour justifier leur survie.
Créer l’espace francophone
Les panélistes se sont dits touchés de l’intérêt de la communauté pour la situation à la Laurentienne, mais rappellent que les francophones n’ont pas de place dans les négociations en cours derrière des portes closes. Se faire entendre est plus difficile, mais aussi essentiel.
Le professeur agrégé du Département de sciences religieuses de l’Université de Sudbury, Kornel Zathureczky, s’inquiète de ce qui restera comme programmes en français après la restructuration, aussi bien à la Laurentienne qu’à son institution, qui a déjà été affectée financièrement par les changements mis en place sans consultation à la Fédération de l’Université Laurentienne.
Pour la professeure associée du Département de science politique, Aurélie Lacassagne, vu que cette première bataille est perdue d’avance pour les francophones, il faut se préparer à celle qui suivra. Celle où les francophones devront réclamer, à nouveau, le contrôle de leur éducation.

Elle constate que la pandémie a démontré que le mode de livraison de certains cours peut être adapté. Avec les technologies actuelles, créer un réseau universitaire serait possible. Un réseau avec Sudbury, Hearst et l’Université de l’Ontario français? Pourquoi pas.
Simon Laflamme mentionne que le programme de doctorat en sciences humaines et interdisciplinaires qu’il dirige est protégé par la désignation partielle sous la Loi des services en français de l’université, «mais pas les professeurs».
Pourtant, pour enseigner un programme de maitrise ou de doctorat, ça prend des professeurs expérimentés à temps plein, pas des chargés de cours, dit-il.
La destruction de l’idée de l’université
Pour Simon Laflamme, une université ne peut pas exister sans tenir compte de son milieu, de sa communauté d’attache. «Une université, ça n’existe pas en soi», lance-t-il.
Un établissement d’éducation spécialisée n’est pas une université, même si la formation donnée est de niveau universitaire. Une université alimente le développement de sa communauté, est en relation avec elle et s’en inspire pour son propre développement. Des concepts abandonnés depuis des années par la Laurentienne, selon M. Laflamme.
Elle n’est pas la seule dans cette voie, note-t-il, puisque le gouvernement ne donne pas les moyens aux universités, en encore moins à celles du nord de l’Ontario, de sortir de la vision commerciale de l’éducation.
Aurélie Lacassagne appuie l’analyse de Simon Laflamme. La transformation des universités en monstres économiques a mis fin à 800 ans d’histoire d’enseignement universitaire et de gestion en collégialité. Les étudiants sont vus comme des clients, les programmes comme des produits à vendre.
Elle craint que le processus de restructuration en cours ne réduise davantage le poids des francophones de l’Université Laurentienne, qui sont déjà marginalisés dans la prise de décision.
La conférence organisée par le Collège des chaires de recherche sur le monde francophone de l’Université d’Ottawa était la première d’une série sur le pari difficile des universités francophones du Canada.