Lire la chronique de Réjean Grenier sur Francopresse
Premièrement, sans me porter à la défense du gouvernement Legault, il est important de préciser que la procédure de modification constitutionnelle que le gouvernement québécois veut utiliser est celle prévue à l’article 45 de la Loi constitutionnelle de 1982.
Cet article prévoit que «sous réserve de l’article 41, une législature a compétence exclusive pour modifier la constitution de sa province».
Rien dans le projet de loi 96 du Québec ne stipule que le gouvernement Legault a l’intention d’abroger les droits constitutionnels des Anglo-Québécois reconnus aux articles 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 et à l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés.
Je tiens d’ailleurs à rappeler que ni l’une ni l’autre de ces dispositions ne font du Québec une province officiellement bilingue, comme c’est le cas pour le Nouveau-Brunswick.
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Pour modifier les deux dispositions mentionnées dans le précédent paragraphe, Québec devrait suivre la procédure de modification prévue à l’article 41 qui stipule que «toute modification de la Constitution du Canada portant sur les questions suivantes se fait par proclamation du gouverneur général sous le grand sceau du Canada, autorisée par des résolutions du Sénat, de la Chambre des communes et de l’Assemblée législative de chaque province : […] c) sous réserve de l’article 43, l’usage du français ou de l’anglais».
L’article 43, pour sa part, c’est la disposition que le Nouveau-Brunswick a utilisée en 1993 pour inscrire dans la Charte l’article 16.1, qui reconnait l’égalité des deux communautés linguistiques officielles du NB.
L’article 43 prévoit entre autres que «les dispositions de la Constitution du Canada applicables à certaines provinces seulement ne peuvent être modifiées que par proclamation du gouverneur général sous le grand sceau du Canada, autorisée par des résolutions du Sénat, de la Chambre des communes et de l’Assemblée législative de chaque province concernée. Le présent article s’applique notamment : […] b) aux modifications des dispositions relatives à l’usage du français ou de l’anglais dans une province».
Il y a loin de la coupe aux lèvres
Pour en revenir maintenant au commentaire de M. Grenier voulant que le Nouveau-Brunswick puisse s’inspirer du «précédent québécois» pour déclarer l’anglais seule langue officielle de la province, je réponds que ce n’est pas aussi simple que ça.
Premièrement, si la province décidait d’invoquer l’article 45 pour tenter de faire de l’anglais la seule langue officielle de la province, cette modification ne changerait rien aux droits linguistiques constitutionnels des francophones du Nouveau-Brunswick reconnus aux articles 16 à 20 et 23 de la Charte. La modification n’aurait donc aucun sens et elle n’aurait aucun effet sur nos droits.
Deuxièmement, une telle tentative pourrait être contestée, car elle irait à l’encontre du paragraphe 16(2) de la Charte, qui reconnait que le français et l’anglais sont les langues officielles de la province, et de l’article 16.1, qui reconnait l’égalité des deux communautés linguistiques officielles. On pourrait même ajouter que la modification irait à l’encontre du paragraphe 16(3), qui reconnait le principe de la progression vers l’égalité des langues officielles!
Pour en arriver à la modification suggérée par M. Grenier, le gouvernement du Nouveau-Brunswick devrait soit utiliser la procédure prévue à l’article 43 et obtenir l’aval d’Ottawa ou soit utiliser la procédure de modification plus exigeante prévue à l’article 41.
Il y a donc loin de la coupe aux lèvres pour un gouvernement néobrunswickois qui aurait comme idée de faire de l’anglais la seule langue officielle de la province.
Finalement, je tiens à préciser que ce que le gouvernement Legault tente de faire avec sa proposition de modification constitutionnelle m’apparait plus symbolique et politique que juridique. Je ne suis pas convaincu que dans le quotidien cela change grand-chose.
Il est important de rappeler également, comme l’a fait la Cour suprême dans l’arrêt Solski (Tuteur de) c Québec (Procureur général), 2005 CSC 14, qu’il existe dans la société canadienne deux niveaux de rapports sociaux et juridiques qui rendent délicat l’effort d’aménagement des droits linguistiques.
D’une part, l’épanouissement personnel de chaque membre des minorités et de leurs familles dans chaque province ou territoire doit être assuré, et d’autre part, les questions linguistiques mettent en jeu le développement et la présence des minorités anglophones au Québec et des minorités francophones ailleurs au Canada.
Ces questions linguistiques mettent aussi inéluctablement en cause la perception que la communauté francophone du Québec a de son avenir au Canada puisque, majoritaire au Québec, elle se trouve minoritaire au Canada et encore davantage dans l’ensemble nord-américain.
On doit tenir compte de cette réalité complexe lorsqu’on aborde les droits linguistiques au Canada et éviter de tirer des conclusions trop hâtives qui nous amènent à une approche symétrique de ces droits.
Les droits linguistiques ne peuvent qu’être asymétriques, dans leur conception et dans leur application, puisqu’ils s’insèrent dans des contextes différents qui ont été façonnés par la combinaison de facteurs historiques, sociaux et politiques distincts.
Finalement, si on veut un exemple d’abrogation de droits linguistiques, nous n’avons qu’à regarder ce que le Manitoba a fait en 1890 et ce que l’Alberta et la Saskatchewan ont fait en 1988 après la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Mercure.